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— Mais, j’y pense, si vous êtes procureur général, M. Sébert ne l’est plus. Moi qui avais si grand-peur de lui, je n’ai plus rien à craindre ! C’est vous qui prendrez la parole au nom du ministère public, et vous n’aurez qu’à dire : Messieurs, je vous renvoie à la plaidoirie de Me Mainfroi, elle exprime mon opinion tout entière.

— Ah ! pardon. Ce procédé simplifierait les choses, mais je doute qu’il soit permis.

— Si la loi le défend…

— Non ; la loi qui pense à tout, n’a point prévu le cas, que je sache. Elle interdit au juge de siéger dans une affaire où il aurait plaidé, elle semble ignorer qu’un simple avocat, par un coup de fortune, peut devenir de but en blanc chef du parquet ; mais où le code ne dit rien, les convenances décident. Je céderai la place à un avocat général ou à un substitut.

— En avez-vous le droit ? Est-ce que le garde des sceaux n’a pas formellement demandé que le procureur général parlai ; en personne ?

— C’est, ma foi, vrai I je l’avais oublié ; mais le ministre qui a donné cet ordre est remisé sous la coupole du Sénat ; son successeur, que je verrai sans doute avant trois jours, est le plus galant homme du monde, et je suis sûr de m’entendre avec lui.

Les nominations parurent au Moniteur le jeudi 25 et arrivèrent à Grenoble le vendredi. M. Sébert était nommé président de chambre à la cour de Bordeaux, pas un mot sur le sort de M. de Mondreville. Mainfroi partit pour Paris le soir même, et courut s’inscrire chez le copain, qui était au conseil. Dans la journée du samedi, il reçut un billet très-cordial qui l’invitait à déjeuner le lendemain au ministère.

L’homme d’État l’accueillit à bras ouverts et s’excusa de lui rendre un déjeuner d’auberge en échange du bon dîner de Fleuron. Aux premiers mots de remerciements, il interrompit son convive et lui dit : x Vous ne me devez rien ; c’est mon vieil ami Mondreville qui a tout fait. Il a même retardé votre nomination pour vous laisser le temps de plaider la grande affaire. On dit que vous avez été admirable ; l’Impartial et le Courrier célèbrent votre éloquence ; bravo J’ai fait vœu d’écrémer l’ordre des avocats au profit de mes parquets. Sébert était insuffisant, je l’ai envoyé s’asseoir. Il est cause que l’arrêt n’est pas rendu, et que le public et les plaideurs sont encore dans l’anxiété.

— Le pauvre homme était d’autant plus embarrassé qu’il avait reçu l’ordre de prendre parti dans l’affaire. J’aime à croire, monsieur, que vous n’entendez pas me faire hériter de cette obligation ?

— Je n’ai rien à vous dire, je ne sais rien, je ne veux pas connaître