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minute, Mme de Montbriand prit la brochure et dit : « Nous avons oublié l’épigraphe.

— Que mettrez-vous ?

— Ma devise, qui est aussi la vôtre. »

Rien ne fut changé dans leurs habitudes ; ils se revirent le lendemain et tous les jours suivants aux mêmes heures et dans la même intimité ; mais le laisser-aller des premiers jours ne se retrouva plus, chacun d’eux s’observait davantage : une révolution irréparable était accomplie ; la gêne se glissa dans leurs rapports et la froideur se répandit peu à peu sur leurs entretiens. Cette gêne toutefois abondait en jouissances secrètes, et cette froideur cachait un feu tout nouveau. Un seul geste de Mainfroi avait tué le bon garçon chez Marguerite et réveillé ou éveillé la femme.

Cependant le mémoire était lancé ; on ne parlait pas d’autre chose au palais et dans la ville. Le succès littéraire fut très-vif ; on admira partout cette argumentation suivie, serrée, poignante, qui égorgeait l’adversaire sans sortir un moment du ton modéré et sans choquer aucune convenance. L’opinion publique se retourna ; le parti pris de certains magistrats fut ébranlé. Le défenseur des Vaulignon, qui était un homme émirent, s’empressa de rédiger un factum énergique ; mais il commençait à douter de la victoire, et il poussait ses clients à une transaction. Quelques officieux s’entremirent ; on offrit à Mme de Montbriand de lui laisser le peu qu’elle avait, et de lui parfaire en viager dix mille francs de rente. Le procureur général appuya sous main ces tentatives ; il fit entendre à Mainfroi que sa cause, excellente en équité, mauvaise en droit, devait s’accommoder de la demi-satisfaction qui était offerte ; mais l’avocat et la plaideuse maintinrent résolument leur « tout ou rien », Plus ils voyaient l’ennemi se démoraliser, plus ils s’affermissaient en courage.

La curiosité publique avait d’abord respecté le deuil et la misère de Marguerite ; peu de gens la connaissaient en ville ; les maisons qui s’étaient trouvées en relation avec son père ne jugèrent ni utile ni prudent de renouer avec elle. D’ailleurs le marquis Gérard et la petite Bavaroise avaient pris les devants en visitant à tort et à travers tout ce qui faisait un semblant de figure.

Mais lorsqu’on vit un personnage comme M. Mainfroi épouser publiquement les intérêts de la jeune veuve, lorsque le gain de sa cause parut assuré, lorsqu’enfin la malice ou le dépit des mères de famille insinua que le bâtonnier de l’ordre, en défendant Mme de Montbriand, combattait pour ses propres foyers, le monde avisé de Grenoble prit ses mesures en conséquence. On se dit que Mainfroi, célèbre comme il l’était, protégé par le nouveau ministre et de plus