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point pour lui-même cette chimérique ambition. Ce n’est point assurément dans sa liberté que l’Irlande souffre. Il y a près de quarante ans qu’elle est admise au partage des libertés anglaises qui autorisent toutes les plaintes, toutes les réclamations, tous les vœux, et qui ont permis aux Irlandais de plaider leur cause dans le parlement du royaume-uni. L’Irlande a encore le droit ou le motif de protester contre un abus et un mal dont elle est frappée. L’établissement temporel de l’église anglicane en Irlande est une anomalie et un anachronisme. La majorité des Anglais applaudit aux efforts de la nation italienne contre le pouvoir temporel de la papauté. Comment ne se sont-ils point aperçus qu’ils blessent injustement l’Irlandais dans ses croyances par les avantages que l’église épiscopale garde encore en Irlande comme l’héritage et le monument d’une conquête spoliatrice ? Une semblable monstruosité n’aurait pas dû survivre jusqu’à notre époque. Les richesses du clergé épiscopal d’Irlande ont été sans doute restreintes en partie ; mais ses dotations passent trop iniquement la mesure. L’autre grief des Irlandais est de nature sociale ; ils attribuent leurs souffrances à la constitution de la propriété. Ici encore les faits présens évoquent le souvenir des conquêtes et des anciennes confiscations ; mais comment défaire l’établissement d’un système de propriété qui a une existence plusieurs fois séculaire ? Comment lutter en outre contre les mœurs mêmes des masses irlandaises et leur penchant inguérissable à se ruiner par la concurrence des petits fermages ? Comment dominer et amortir une haine de race si violente que l’émigration lointaine ne parvient point à étouffer, qui rebondit contre la métropole avec une violence croissante de l’Amérique, où l’Irlandais trouve cependant si facilement une patrie plus tu tel aire ? Comme contraste à ce miracle de haine nationale, il est juste de remarquer la résistance que la société anglaise organise spontanément elle-même contre les insensés qui lui déclarent la guerre par l’incendie. Des milliers de constables volontaires se mettent au service de l’administration pour veiller au péril commun. Voilà l’énergie de dévouement volontaire qu’inspirent aux citoyens les mœurs de la liberté. Les malheureux Irlandais attaquent en désespérés un bien robuste ennemi.

Ce sont les qualités plus rudes encore de cette race que l’on rencontre aux États-Unis. Quoique la lutte du congrès et du chef du pouvoir exécutif continue, elle n’est point allée aux extrémités qu’on eût pu redouter. Le sénat s’est prononcé contre la mise en accusation du président Johnson. Cependant les sujets de litige sont loin de faire défaut. Le congrès a de nouveau affirmé à une grande majorité son système de reconstruction des états du sud, dénoncé par le président comme la violation de la constitution américaine. Tandis que le congrès poursuit son système par des mesures législatives, le président agit pratiquement en sens contraire en changeant dans les états du sud les commandans militaires et en remplaçant les généraux radicaux par des généraux démocrates. Il