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mon attention la plus bienveillante, comme toujours. Trouvez l’argument décisif, mon jeune ami ; jetez un poids nouveau dans la balance, et je serai heureux de consacrer par un arrêt le plus étonnant de vos triomphes ; mais, puisque vous portez un intérêt si vif à Mme de Montbriand, dites-lui qu’elle ferait sagement de produire un mémoire à l’appui de sa demande : il faut préparer le terrain, ramener quelques esprits, et détruire les préventions que les succès constants de la partie adverse ont pu enraciner. »

Mainfroi n’eut garde de négliger un avis si paternel, et, soit que la publication de ce mémoire lui parût pressante, soit qu’il craignit de laisser refroidir l’éloquence qui bouillait en lui, soit qu’il trouvât charmant de se cloîtrer dans une pensée de plus en plus chère, il rentra, défendit sa porte et travailla d’arrache-pied jusqu’à minuit. Il fallut que la vieille Fleuron fit acte d’autorité en venant éteindre la lampe.

Le lendemain, au petit jour, il écrivit à Marguerite pour réclamer d’urgence un nouveau rendez-vous, et jusqu’au moment de la revoir il se tint occupé d’elle. Elle le reçut à midi, et il put déjà lui soumettre le canevas d’un travail net, logique, parfaitement ordonné, où les faits, serrés l’un contre l’autre, avaient l’air de soldats qui courent à la victoire. La jeune femme en fut ravie ; elle croyait déjà l’affaire terminée.

« Patience ! dit-il ; ceci n’est que le plan d’un travail préparatoire ; il vous faudra me fournir tout un monde de documents et de matériaux qui me manquent. C’est une collaboration longue et pénible que je viens solliciter ; me l’accorderez-vous ?

— Eh ! grand Dieu ! répondit-elle, quand tous mes intérêts ne seraient pas en jeu, je le ferais par plaisir, car votre compagnie est la plus adorable du monde.

Elle avait quelquefois de ces boutades où le cœur part comme une arme à feu dans la main d’un enfant. Sa reconnaissance, son admiration, son amitié, éclataient à brûle-pourpoint, si brusquement que Mainfroi, ahuri, ne savait que répondre. Toute son expérience des femmes était désarçonnée par ces soubresauts. Marguerite ne ressemblait à rien de ce qu’il connaissait ; ce n’était pas l’être faible, averti, cauteleux, provoquant et fuyard, qu’il avait maintes fois couru et forcé dans ses chasses à travers le monde, mais une nature droite et cavalière. Ses moindres politesses affectaient un air agressif, sans toutefois qu’un fat eût osé les interpréter en mal. C’était l’effusion d’un cœur chaud qui s’emporte ; on y sentait peu de tendresse et surtout point de faiblesse.

La rédaction du mémoire prit une semaine, et, sauf quelques heures consacrées aux devoirs du palais, ils passèrent tous ces jours en tête-à-tête. Marguerite avait fourni sa bonne part de travail ;