Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mulées sous forme de toasts, d’improvisations, ou même de pièces de vers préparées. J’assistai à une séance. Le darwinisme ou la transformation des espèces fut le texte de la plupart des discours. Une écrevisse se plaignait qu’on lui fît l’injure de lui donner pour ancêtre un cloporte ou une trilobite. Un poisson du vieux grès rouge, antérieur au dépôt de la houille, s’étonnait du développement que la vie animale avait prise à la surface de la terre ; l’origine des langues se rattachait aux facultés phonétiques des pies et des perroquets. Un peintre naturaliste fit circuler des dessins où toutes les transformations rêvées par les zoologistes étaient plaisamment exprimées. Les idées nouvelles, les hardiesses, les témérités, étaient accueillies avec une bruyante faveur. Sous une forme enjouée, c’est l’esprit de la science de l’avenir qui parlait par la bouche des convives. La franchise, la netteté des opinions était entière ; mais le passé n’était ni maudit ni ridiculisé. Cette tolérance est le caractère d’un peuple chez lequel le libre examen est la base de la constitution politique et religieuse.

Ai-je réussi à donner au lecteur français une juste idée de ces grandes assemblées scientifiques dont l’Angleterre est chaque année le théâtre ? L’influence en serait encore plus grande, si l’on savait sur le continent combien ces réunions sont instructives et attrayantes. Pour celui qui, étranger aux préventions d’un étroit patriotisme, considère la science comme l’œuvre du genre humain tout entier, ses progrès et ses découvertes comme les faits les plus importans de l’histoire, assister et prendre part, pour ainsi dire, au travail intellectuel d’une grande nation est un spectacle plus imposant que celui des événemens politiques, dont la trace est si vite effacée. Les bienfaits de la science sont durables, ses conquêtes éternelles ; le temps ne les efface pas, il les consacre. Qui a changé la face de la terre et amélioré le sort de l’humanité ? N’est-ce pas l’humble phalange incessamment renouvelée dont les travaux, accumulés depuis l’origine des siècles, ont mis les forces de la nature au service de l’homme et dissipé les vaines terreurs qui assiégeaient son berceau ? Grâce à ce labeur incessant, l’espèce humaine, se dégageant peu à peu de la gangue où elle était primitivement engagée, se transforme, s’ennoblit et s’élève graduellement à un idéal de vie intellectuelle et morale, ère de paix et de bonheur dont le milieu trouble et confus dans lequel nous nous agitons aujourd’hui permet à peine d’entrevoir le futur avènement.


CH. MARTINS.