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Le pape était effectivement rendu à Savone, et, comme malgré les précautions prises par les agens de Fouché ce second voyage à travers les populations très catholiques du midi de la France avait encore été une véritable ovation pour le saint-père, surtout lorsqu’il s’était arrêté à Avignon[1], le ministre de la police, maintenant instruit des dernières intentions de son maître, se garda bien de l’en faire de nouveau bouger. A une époque antérieure seulement de quelques semaines, l’empereur s’était déjà fort clairement exprimé avec son ministre de la police sur la manière dont il entendait qu’on se conduisît dans toutes les affaires qui concernaient le saint-père. « Je vois avec peine, lui avait-il écrit dès le 25 juin 1809, que vous vouliez faire des articles sur Rome. C’est une mauvaise route. Il ne faut en parler ni en bonne ni en mauvaise part, et il ne doit pas en être question dans les journaux. Les hommes instruits savent bien que je n’ai pas attaqué Rome. Les faux dévots, vous ne les changerez pas; partez de ce principe. Je suis même fâché que vous ayez laissé mettre le décret (celui du 17 mai) dans les gazettes avant qu’il n’ait été communiqué au sénat[2]. »

Ainsi il avait été parfaitement juste et opportun de confisquer les états du pape par un décret dans la rédaction duquel l’empereur, comme nous l’avons vu, avait déployé son meilleur style; il était excellent que ce décret eût reçu son exécution à Rome avec l’accompagnement des circonstances que nous avons racontées; mais ce qui aurait mis le comble à la perfection, c’est qu’on n’en sût pas la moindre chose en France. Il ne fallait pas que le pape restât à Rome, où sa présence avait été jugée si dangereuse que, malgré tant de dénégations, il avait donné l’ordre de l’y arrêter. En Toscane, c’était la sœur de l’empereur, en Piémont, c’était son beau-frère, qui avaient jugé le séjour même momentané de Pie VII si périlleux qu’ils n’avaient pu l’y souffrir un instant. En France, l’empereur n’en aurait pas voulu davantage. Encore fallait-il bien que le pape fût quelque part. D’accord; mais il fallait qu’il y fût aussi peu que possible, comme s’il n’y était pas, et surtout qu’en France on ne sût rien, absolument rien, ou, si l’on savait quelque chose, qu’à tout le moins on n’en soufflât pas mot. Voilà quel était l’idéal de l’empereur et, ne craignons pas de l’avouer, ce qu’en partie et pour un certain temps il obtint à peu près complètement. A la longue pourtant, le silence deviendrait impossible à garder; il faudrait soi-même parler. Restait alors la ressource du mensonge.

  1. Relation manuscrite du valet de chambre de Pie VII.
  2. Lettre de l’empereur à Fouché, 27 juin 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 183.