Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mission. « Quand on ne tient pas à la vie, on est loin de tenir aux choses de ce monde, » fut son unique réponse. — Prenant alors uniquement sur son prie-Dieu son bréviaire et le christ qu’il avait coutume de porter suspendu sur sa poitrine, il s’assit au pied de son lit, car il était, nous l’avons dit, à la fois fatigué et un peu malade. Quand tout fut prêt pour le départ, le saint-père, appuyé de nouveau sur le général Radet et suivi du cardinal Pacca, descendit le grand escalier du Quirinal. Arrivé à la porte cochère. Pie VII s’arrêta et bénit Rome. Les troupes françaises étaient rangées en bataille sur la vaste place de Monte-Cavallo. Une portion des patrouilles qui avaient circulé pendant la nuit autour du Quirinal et la garde du palais Colonna s’y trouvaient également réunies. Il n’y avait point de population romaine sur la place, ni aux fenêtres; il était quatre heures du matin ; un profond silence régnait partout. Cet appareil militaire, calme et immobile, était tacitement expressif, et les soldats reçurent la bénédiction du pape, affirme le général Radet, avec un saint respect. Quant à lui, après avoir fait monter le pape et le cardinal Pacca dans une voiture attelée d’avance, dont les Persiennes avaient été soigneusement clouées et dont il fit sous ses yeux fermer à clé les deux portières par un gendarme, il s’élança sur le siège avec un maréchal-des-logis et ordonna aux postillons de sortir de Rome par la porta Pia, et de se rendre à la porte du Peuple en longeant les murs de la ville. Un détachement de gendarmerie escortait la voiture.

Suivant la version du cardinal Pacca, Radet avait donné à entendre au saint-père qu’il allait être conduit en présence du général Miollis. Quand Pie VII vit qu’à la porte du Peuple on attelait des chevaux de poste à sa voiture, il reprocha doucement au général Radet sa supercherie, et se plaignit qu’on l’arrachât ainsi de Rome par violence, sans suite, sans provision aucune, avec les seuls habits qu’il portait sur lui. Radet s’excusa de son mieux, et offrit au saint-père, pour ses dépenses pendant la route, un sac d’or et d’argent que celui-ci ne voulut point accepter. Un quart d’heure après, la voiture qui emmenait le saint-père et son ministre prenait à toute bride la route de Florence. Il était un peu moins de cinq heures du matin.

Quelles paroles échangèrent d’abord entre eux Pie VII et le cardinal Pacca? A coup sûr, leurs pensées ne pouvaient qu’être empreintes d’une profonde et douloureuse tristesse. Qui le croira cependant? ce fut le sourire qui trouva d’abord place sur les lèvres des deux prisonniers. « Avez-vous pris quelque argent? demanda le saint-père au cardinal Pacca. — Votre sainteté a vu que j’ai été arrêté dans son appartement et qu’on ne m’a pas permis de re-