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imposant, s’adressant tout à coup à Radet, lui dit avec un air de tendresse et de compassion : « En vérité, mon fils, cette commission ne vous attirera pas les bénédictions divines. — Puis, levant les yeux au ciel : — Voilà donc, s’écria-t-il, la reconnaissance qui m’a été gardée de tout ce que j’ai fait pour votre empereur ! Voilà donc la récompense de ma grande condescendance envers lui et envers l’église de France! Mais peut-être à cet égard ai-je été coupable devant Dieu; c’est lui qui veut me punir, et je me soumets avec humilité[1]. »

Pendant que cette scène se passait dans les appartemens du saint-père, le général avait eu le temps d’envoyer un brigadier de gendarmerie avertir le général Miollis qu’il se trouvait en présence du pape, et lui demander ce qu’il devait faire. Le général Miollis n’avait pris personnellement aucune part à l’expédition dirigée contre le Quirinal; mais il se tenait à portée dans les jardins du palais Colonna, qui donnent sur la place de Monte-Cavallo. Peu d’instans après, le messager du général Radet remettait en secret à celui-ci l’ordre de la part du gouverneur de Rome d’arrêter le pape avec le cardinal Pacca et de les conduire incontinent hors de Rome[2]. Radet insista pour un départ immédiat. « Puisqu’il en est ainsi, je cède à la force; mais, répondit le saint-père, vous m’accorderez bien, à moi et aux personnes qui doivent me suivre, deux heures pour faire nos préparatifs de voyage. » Le général Radet assura que ses instructions ne le lui permettaient pas. Si sa sainteté voulait donner la liste des personnes qu’elle désirait emmener, il la ferait porter par un officier au gouverneur de Rome, et prendrait à cet égard les ordres de son supérieur. En moins de dix minutes, l’officier était de retour et rendit tout haut la réponse du général Miollis. « L’ordre de son excellence est, dit-il, qu’il faut que le pape et le cardinal Pacca partent à l’instant avec le général Radet, Les autres personnes suivront après[3]. » Le pape alors se leva pour se rendre à sa chambre à coucher. Il avait quelque peine à marcher, étant faible et souffrant. Le général Radet raconte « qu’il le soutint de son bras jusqu’au seuil de la porte, et la main du saint-père, ajoute-t-il, se trouvant par hasard dans la sienne, il ne put résister au mouvement de vénération dont il était fortement pénétré, et baisa pieusement cette main sainte et l’anneau pontifical qu’elle portait. » Il saisit même cette occasion pour proposer à sa sainteté de se retirer et de lui laisser la faculté de confier à qui bon lui semblerait ses ordres, ses secrets et les choses précieuses auxquelles elle pourrait tenir. Pie VII ne profita point de cette per-

  1. Relation italienne manuscrite du British Museum, n° 8,387.
  2. Relation du général Radet, septembre 1814.
  3. Ibid.