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tat, en se rendant dans la chambre du saint-père, le trouva se levant avec une grande sérénité d’esprit, ayant déjà jeté sur sa robe la mozetta (le camail) et l’étole, et se préparant à se rendre dans la salle d’audience. Presqu’en même temps que le cardinal Pacca était survenu le cardinal Despuig, Espagnol de naissance, archevêque de Séville et pro-vicaire de Rome. « Me voici, s’écria Pie VII en les voyant tous deux près de lui, me voici en compagnie de mes véritables amis. — Saint-père, répliqua Despuig, voici le moment de montrer votre courage et d’implorer l’assistance du Très-Haut afin que vous puissiez nous servir à tous d’exemple. Votre sainteté me permettra-t-elle de lui rappeler que nous sommes dans l’octave de la fête de saint Pierre[1]? » Cependant le bruit allait croissant dans les pièces qui précédaient l’entrée des appartemens du saint-père. On entendait de plus en plus les coups redoublés des haches et des crosses de fusils avec lesquels la bande que conduisait le général Radet s’efforçait de faire tomber les portes des antichambres. Le cardinal espagnol proposa au saint-père de se rendre à sa chapelle particulière, qui était proche; mais déjà le général Radet était arrivé jusqu’à la porte de la pièce où se tenait Pie VII, on la voyait trembler sous sa pression. La retraite vers la chapelle aurait eu l’air d’une fuite. Pie VII, s’asseyant sur un sofa qui était juste en face de la porte et derrière une table, fit signe aux cardinaux de prendre place à côté de lui, et ordonna que l’on ouvrît la porte afin d’éviter tout désordre.

Radet alors entra, ne sachant encore ni où il était ni devant qui il se trouvait; bientôt cependant il le devina à l’attitude des hommes qui le suivaient, et dont quelques-uns, sans compter celui qui lui servait de guide, étaient Romains et connaissaient le saint-père. Informé qu’il était en sa présence, Radet mit son chapeau à la main, et, renvoyant le plus gros de sa troupe, il fit entrer un à un la plupart des officiers de sa suite et quelques sous-officiers de gendarmerie qui, se glissant le long de la porte entre-bâillée et des murs de l’appartement, vinrent se ranger symétriquement, l’épée nue et le mousquet au pied, à sa droite et à sa gauche. Deux groupes placés en face l’un de l’autre occupaient donc la pièce. A la tête du premier, le général Radet, le chapeau à la main, botté, éperonné, le sabre au côté, dans la tenue d’un militaire qui vient de livrer un assaut, parfaitement respectueux d’ailleurs et flanqué d’une douzaine d’officiers et de sous-officiers français auxquels s’étaient mêlés deux ou trois des commandans de la garde civique romaine, suivis eux-mêmes de quelques gens de la lie du peuple. Vis-à-vis était le pape, en habit ecclésiastique des plus simples,

  1. Relation manuscrite italienne.