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tout lieu de supposer qu’elle émane du cardinal Despuig, qui était avec Pacca le seul membre du sacré-collège logé au Quirinal, et par conséquent témoin comme lui de l’enlèvement du saint-père. Il est assez rare qu’un coup de main qui s’est préparé dans l’ombre, qui s’est exécuté la nuit en grand secret, ait été à la fois raconté par tant de personnes ayant joué dans les camps opposés des rôles aussi directs et aussi considérables. Quand il se trouve aidé par de pareils témoignages, un historien peut se flatter de posséder à peu près tous les élémens de la vérité. Nous tâcherons qu’elle soit fidèlement rendue dans notre récit.

Du moment où l’empereur avait pris son parti d’enlever au saint-père son pouvoir temporel, il devenait bien peu probable qu’il voulût le laisser séjourner à Rome. Lorsqu’un prince descend du trône par déposition ou par abdication, il est rare qu’on n’ait pas hâte de l’éloigner de ses anciens sujets. Il en devait être ainsi à beaucoup plus forte raison du souverain pontife, dont la suprématie spirituelle demeurait entière, et qui ne pouvait manquer d’opposer par sa seule présence, même impassible, un obstacle absolu à l’établissement définitif du nouvel ordre de choses. Cela était parfaitement senti à Rome par tout le monde, mais par personne autant que par le saint-père lui-même. Aussi ne se faisait-il à cet égard aucune illusion. Son secrétaire d’état n’en avait pas davantage, et dans le Quirinal il n’était pas un serviteur de Pie VII qui ne s’attendît à le voir bientôt enlevé de Rome par la force. Le public était lui-même journellement averti de l’imminence de la catastrophe par les préparatifs qui se faisaient patemment dans l’intérieur de la demeure pontificale pour en garder jour et nuit toutes les entrées. Ce n’est pas que le saint-père songeât sérieusement à se défendre à main armée contre une agression organisée par le commandant des troupes françaises. Encore moins avait-il le dessein, que lui prêtait assez ridiculement le général Radet, de vouloir sortir, le jour de la Saint-Pierre, le crucifix à la main et de faire sonner le tocsin afin d’exciter le peuple romain contre les Français[1]; mais le saint-père, qui aurait frémi à l’idée qu’une seule goutte de sang eût été versée par ses défenseurs afin de protéger sa personne, était en même temps bien résolu à forcer ses adver-

  1. « Le pape fut gardé autour du Quirinal. Il voulait sortir le jour de saint Pierre, le crucifix à la main, et lancer la grande excommunication par laquelle il déclarait retirer à l’empereur Napoléon la couronne qu’il prétend lui avoir donnée et relever tous ses sujets de l’Italie du serment de fidélité qu’ils lui ont prêté; mais, logé près le Quirinal, au palais Ruspigliosi, je doublai la garde et ma surveillance, et j’achetai des intelligences dans le Quirinal. Je l’aurais fait rentrer d’autorité, s’il fût sorti, et empêché de fulminer de ses fenêtres et de sonner le tocsin. J’étais maître du clocher et en possession de la corde de la cloche du Quirinal, et il ne sortit pas. » — Le général Radet au ministre de la guerre, le 13 juillet 1809.