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IV.

Le public possède déjà deux relations de l’enlèvement du pape au Quirinal, toutes deux émanent de deux témoins oculaires, ou plutôt de deux personnages qui ont été acteurs eux-mêmes dans ce drame étrange. L’une a été écrite par le cardinal Pacca dans ses œuvres complètes, la seconde provient du général de gendarmerie baron Radet. La date de cette dernière est du 12 septembre 1814. Elle avait été adressée à cette époque, qui le croirait? à Pie VII lui-même. Passé du service de l’empereur à celui du roi Louis XVIII, l’ancien commandant de gendarmerie chargé d’arrêter le pape éprouvait, disait-il, le besoin de se laver des indignes calomnies répandues sur son compte, et qui étaient de nature à lui faire perdre les précieuses bonnes grâces de son nouveau souverain; c’est pourquoi il a pris le parti de rédiger un récit fidèle « de cet événement malheureux qui fait autant d’honneur à sa sainteté que de prosélytes à la religion, et il prie le saint-père de vouloir bien, en reconnaissant la vérité de sa relation, venir au secours de l’honneur de l’un de ses enfans, qui dans sa malheureuse position comptait encore pour un dédommagement le bonheur qu’il avait eu de contempler de si près une vertu plus qu’humaine[1]. » Malheureusement pour le général Radet, il n’avait pas plus que l’empereur Napoléon gardé la mémoire exacte de tout ce qu’il avait écrit, et nous avons sous les yeux une autre relation adressée par lui de Rome au ministre de la guerre à Paris le 13 juillet 1809, aussitôt après son retour de la chartreuse de Florence, où il avait été déposer son prisonnier. Dans cette relation, la première en date, écrite au lendemain de l’événement, c’est lui, Radet, qui a tout fait, c’est lui en particulier qui a décidé le général Miollis, un peu hésitant, à arrêter le saint-père. Bref, personne n’était alors plus satisfait et plus fier de sa mission que le général baron Radet. Dans ces deux relations, plus différentes de ton que contradictoires, dont le fond paraît d’ailleurs parfaitement véridique, le général Radet n’a eu d’autre tort que d’exagérer peut-être un peu l’importance de son rôle personnel; il ne faudrait pas dans l’une plus que dans l’autre prendre trop au pied de la lettre ce qu’il y dit de lui-même. Hors cela, son récit est exact, et selon notre habitude nous ne mettrons à sa charge, ou pour mieux dire à la charge de ceux dont il était le très docile instrument, que les faits qui ressortent de la version qu’il a jugé lui-même lui être la plus favorable. Une autre relation manuscrite dont nous nous servirons également est écrite en italien. Nous avons

  1. Lettre du général baron Radet à sa sainteté le pape Pie VII, citée par le cardinal Pacca. — Œuvres complètes, t. P% p. 229.