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désirons bien sincèrement leur témoigner notre reconnaissance par les moyens que nous prenons aujourd’hui. Nous exhortons, nous prions donc, nous conjurons l’empereur et roi Napoléon de changer de résolution et de reprendre les sentimens qu’il a manifestés au commencement de son règne. Qu’il se souvienne que le Seigneur Dieu est un roi bien au-dessus de tous les rois et de lui-même, tout puissant qu’il puisse être, qu’il ne fait acception de personne et ne respecte la grandeur de qui que ce soit, et que ceux-là qui commandent aux autres seront eux-mêmes jugés un jour par lui avec une extrême sévérité. Nous comprenons que nous avons présentement une grande persécution à souffrir; mais nous y sommes tout préparé, fortifié par ces paroles du divin Maître : Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice! »


Il n’y avait pas lieu de se le dissimuler, et à Rome surtout on n’entretenait à cet égard aucune illusion : le rappel du cardinal-légat et le discours prononcé par le saint-père dans le consistoire du 16 mars étaient des actes qui devaient exciter au plus haut degré le courroux de l’empereur. Pendant quelques semaines, les membres du sacré-collège et tous les fonctionnaires du gouvernement pontifical tremblèrent de voir arriver de France des ordres impitoyables qui précipiteraient le dénoûment d’une si funeste querelle. Les cardinaux romains ne se trompaient pas en effet sur les sentimens provoqués chez l’empereur Napoléon par les déterminations du saint-père; mais, au moment où la nouvelle lui était transmise à Paris, l’empereur était sur le point de partir pour Bayonne, et, tout entier aux affaires d’Espagne, il n’accordait plus à tout le reste qu’une attention assez distraite. Cependant, au sujet même de ce qu’il allait essayer à Bayonne, ses idées n’étaient pas encore parfaitement arrêtées. Que ferait-il de la couronne de ce grand pays, qu’il croyait ou qu’il feignait de croire entièrement disposé à se donner à lui? Il ne le savait pas encore positivement à cette époque. Serait-il possible de tout consommer par les seules voies de l’intrigue et de la perfidie, ou bien faudrait-il employer la force et recourir à la conquête? Comment le prévoir à l’avance? En tout cas, ainsi que l’explique si bien M. Thiers, il était parfaitement décidé, aussi longtemps que les choses resteraient en suspens, à ne pas se mettre à la fois sur les bras une guerre religieuse de l’autre côté des Alpes et une guerre politique par-delà les Pyrénées. Détrôner l’infortuné roi d’Espagne, qui venait si naïvement se confier à lui, mettre la main sur le pontife qui l’avait sacré et ne lui demandait en retour d’autre grâce que de vouloir bien respecter les obligations de sa conscience, c’étaient là des projets qu’agitait dès lors assez confusément l’âme toujours fort peu scrupuleuse