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Il restait une autre partie du programme impérial à accomplir. Ni M. Alquier ni le général Miollis n’étaient maîtres d’oublier ce passage chiffré de la lettre adressée à M. de Champagny : « Mon intention est d’accoutumer le peuple de Rome et les troupes françaises à vivre ensemble, afin que, si la cour de Rome continue à se montrer aussi insensée, elle ait cessé insensiblement d’exister comme puissance temporelle sans qu’on s’en soit aperçu[1]. » Un décret du commandant en chef de l’armée d’invasion avait donc incorporé les troupes de sa sainteté dans le corps expéditionnaire. Quelque résistance s’étant produite, le général Miollis avait fait conduire au château Saint-Ange, puis exilé hors des états pontificaux le colonel Bracci, qui s’était refusé à ce changement. Pareil traitement avait été infligé à tous les officiers pontificaux restés comme lui fidèles à leur prince, et la plupart avaient été transportés dans la citadelle de Mantoue. Vivement blessé de cette mesure et désireux de constater par quelque signe extérieur et public qu’il n’avait point consenti à cette aliénation forcée de ses troupes, Pie VII s’était empressé de changer les couleurs de la cocarde portée par la garde pontificale qui, restée en très petit nombre sous ses drapeaux, faisait le service intérieur du palais du Quirinal. Aussitôt Miollis avait fait prendre la nouvelle cocarde aux troupes incorporées, et le secrétaire d’état avait dû se borner à protester par un billet adressé aux ministres étrangers contre cette insulte faite à l’indépendance de son souverain.

Cependant un dernier outrage, plus sensible pour lui que tous ceux que nous venons de raconter, attendait encore le saint-père. Cette fois, le coup devait lui être directement porté de Paris, de la main même de l’empereur. Le 10 mars 1808, au moment de partir pour Bayonne, dans la lettre par laquelle il lui annonçait que de grands événemens se préparaient en Espagne, Napoléon ordonnait au prince Eugène, vice-roi d’Italie, de faire renvoyer de Rome tous les cardinaux qui n’étaient pas nés sujets du pape. « Que Litta revienne à Milan, lui mandait l’empereur; que les Génois rentrent à Gênes, les Italiens dans le royaume d’Italie, les Piémontais en Piémont, les Napolitains à Naples. Cette mesure doit être exécutée de gré ou de force. Puisque ce sont les cardinaux qui ont perdu les états temporels du pape, par leurs mauvais conseils, qu’ils rentrent chacun chez eux[2] ! » Le nombre des cardinaux à qui allait s’appliquer la mesure prescrite par l’empereur était de quatorze. En y ajoutant les sept cardinaux déjà précé-

  1. Lettre de l’empereur à M. de Champagny, 22 janvier 1808. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XVI, p. 264.
  2. Lettre de l’empereur au prince Eugène, 10 mars 1808. — Correspondance de Napoléon Ier , t, XVI, p. 498.