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Wieland, dans le temps où Wieland coquetait avec l’école de Zurich, de compromettre par son bel esprit les sévérités de la doctrine chrétienne, de même qu’il accusa Klopstock d’énerver l’orthodoxie par les fadeurs de son mysticisme édulcoré. A Hambourg, Lessing se déclara pour Goetze, qui s’obstinait à maudire, contre Alberti, qui ne voulait que bénir. Plus tard, il se donna la peine de démontrer que Leibniz envisageait le dogme de l’éternité des peines comme conciliable avec une saine philosophie, et il termine sa démonstration par ces mots : « O mes amis, pourquoi voudrions-nous être plus clairvoyans que Leibniz ? » À ce langage, on reconnaîtra l’amasseur de nuées. Il y a quelque chose de plus. La vieille orthodoxie luthérienne, qui se tenait autrefois enfermée dans ses anguleuses et immuables confessions de foi, avait vu entamer sa ligne de bataille. Vers la fin du XVIIe siècle, le fondateur du piétisme) Spener, avait ouvert une large trouée dans ses retranchemens. Ce mystique plaçait l’étude dévote des Écritures, la prédication, les saintes pratiques, au-dessus des subtilités de la théologie. Dans ses fameux Collèges de piété) les fidèles se racontaient les uns aux autres leurs expériences personnelles et l’histoire ou le roman de leur conscience. Les piétistes affectaient un austère rigorisme ; ils condamnaient tous les plaisirs mondains, le théâtre, la danse, le jeu, la musique, la promenade, la toilette, et, comme l’indique leur nom, ils tenaient plus à la piété qu’à la dogmatique, à la sainteté qu’à l’orthodoxie ; rigides dans leurs mœurs, esclaves de leurs principes de conduite, ils étaient plus libres que les vieux luthériens à l’égard du dogme. Un peu plus tard, un second courant d’idées, qui provenait d’une tout autre source, entraîna les esprits dans une direction nouvelle, je veux parler de la philosophie de Christian Wolf, de cet honorable disciple de Leibniz, qui accommoda la philosophie de son maître ad usum universitalis. Ce que Leibniz avait fait par diplomatie, Wolf le fit avec une entière bonne foi : il entreprit de réconcilier la théologie et la raison. Persuadé, comme Pangloss, que tout se démontre, il admettait le surnaturel et les miracles, et réduisait la foi en syllogismes. Il tenait pour certain que dans le meilleur des mondes possibles la révélation et la philosophie doivent contracter un mariage de raison, et il les unissait à la face du ciel sans consulter le goût des deux conjoints. Comme les piétistes, Wolf essuya de rudes assauts ; comme le piétisme, sa philosophie optimiste finit par demeurer maîtresse du champ de bataille[1].

Ainsi, dans le temps où Lessing se mit à raisonner de théologie,

  1. E. Zeller, Vorträge und Abhandlungen geschichtlichen Inhalts, Leipzig 1865. — Étude sur Wolf.et sur le Piétisme.