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importe le bien que peut faire l’ouragan dans la nature ? Ne pouvait-il respecter votre jardin ? Que ne s’en va-t-il souffler ailleurs, loin de votre haie ! ou pourquoi ne retient-il pas son souffle en arrivant sur vos terres ? » Et ailleurs : « M. Goetze parle à la populace le langage de la populace, et il crie à tue-tête que mon anonyme a diffamé les apôtres, les a qualifiés d’imposteurs et de scélérats. Cela fait du bruit, cela fait de l’effet ! Peut-être que oui, peut-être que non, car le menu peuple, partout où le magistrat est sage, devient de jour en jour plus éclairé, plus policé, plus honnête, — tandis que certains prédicateurs se font une règle de s’en tenir à jamais, en fait de morale et de religion, au point où étaient leurs ancêtres il y a plusieurs siècles. Ils ne se détachent pas de la populace, mais la populace finit par se détacher d’eux. »

Le défenseur de Goetze, M. Röpe, s’écrie avec un accent douloureux qu’en étudiant cette polémique qui dans l’année 1778 tint l’Allemagne en suspens, on croit assister à un duel entre deux adversaires de forces très inégales, l’un toujours de sang-froid, rompu à l’escrime, heureux à la parade, sûr de sa riposte, fertile en bottes secrètes, qui, l’air dégagé, semble faire assaut dans une salle d’armes ; l’autre, médiocre tireur, qui a l’épée sur la gorge, et qui, obligé de combattre pour sa vie, finit par succomber au milieu des risées d’une galerie indifférente ou prévenue. Cette réflexion ne manque pas de justesse. Il faut cependant tenir compte d’une circonstance qui rétablissait quelque égalité dans la lutte. Lessing n’avait pour lui que son talent, il était seul. Goetze était fortement épaulé ; il avait derrière lui les puissances de la terre et ne se faisait pas faute de les appeler à son aide. Tantôt il représente au duc Ferdinand que Lessing est un bibliothécaire dangereux, que de la manière dont il entend les devoirs de sa charge, si d’aventure il déterrait au fond d’un carton quelques papiers compromettans pour la noble maison de Brunswick, il ne manquerait pas d’en donner connaissance à l’univers : qui méprise son Dieu, n’estime pas son prince. Tantôt il s’adresse à l’envoyé impérial, aux gouvernement, et notamment au conseil aulique, de qui ressortissaient les questions de conscience et d’ordre public ; il les engage à épouser sa querelle, à fermer la bouche à l’hérésie ; il mettrait volontiers son adversaire in pace. A sa manière, il est tolérant. Il admet que, pour tenir les docteurs de l’église en haleine, licence soit donnée à des hommes sensés et posés d’exprimer modestement de modestes objections contre la religion chrétienne et même contre la Bible ; c’est à la condition, bien entendu, que de par- la loi ils écriront en latin ; mais qu’un Lessing… non, cela ne peut être souffert, c’est mettre en péril tout l’ordre social. « L’histoire nous