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fragmentiste ou les annotations de l’éditeur. Les consistoires et les facultés de théologie s’émurent. Nombre de théologiens entrèrent en lice contre l’écrivain anonyme. L’un d’eux, qui n’était pas de force, entreprit de concilier les récits de la résurrection. Lessing, se portant pour juge du camp, examina point par point son argumentation et la mit en poussière. Précédemment il avait répété en les aggravant ses premières déclarations. A l’en croire, les attaques de l’anonyme contre la véracité des historiens sacrés et contre la réalité des miracles dont ils ont rendu témoignage n’étaient pas aussi dangereuses que cela pouvait paraître. Tout balancé, que perdrions-nous à ne plus croire aux miracles ? Des vérités historiques ne peuvent servir de démonstration à des vérités de doctrine ; si certain que puisse être un fait, il ne l’est jamais rigoureusement. « Je ne conteste pas, disait-il, que le Christ ait accompli les prophéties, je ne nie point qu’il n’ait opéré des miracles ; mais je nie que ces miracles, qui ne nous sont plus confirmés par d’autres miracles opérés sous nos yeux, et qui ne sont pour nous par conséquent que des récits de miracles, puissent nous obliger à admettre les doctrines du Christ. Qui nous y oblige ? La vérité intrinsèque de ces doctrines elles-mêmes, lesquelles, il y a dix-huit siècles, étaient si nouvelles, si inconciliables avec tout l’ensemble des vérités alors reconnues, qu’il n’a fallu rien moins que des miracles et des accomplissemens de prophéties pour attirer sur elles la faveur de la foule. » Dans un dialogue intitulé le Testament de Jean et qu’il publia la même année, il s’avançait davantage et semblait réduire le christianisme, dont il avait respecté jusque-là l’intégrité, à ce précepte du visionnaire de Pathmos : « mes petits enfans, aimez-vous les uns les autres. » Le dialogue se terminait par ces mots : « le Christ a dit : Celui qui n’est pas contre moi est pour moi. » A quoi l’interlocuteur de Lessing répliquait : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. — A merveille ! répond Lessing. Voilà qui me ferme la bouche. Vous êtes un vrai chrétien. Vous possédez votre Bible comme le diable. »

Enfin le fils de Pelée sortit de sa tente et poussa un cri de guerre dont l’Allemagne retentit. Ce bouillant Achille de la théologie était le premier pasteur à la cathédrale de Hambourg, Johan Melchior Goetze[1]. Ce n’était point un homme sans mérite, ni sans talent,

  1. Qui veut faire la connaissance intime de Melchior Goetze doit s’adresser à M. Boden, Lessing und Goetze, 1862. Ce livre est riche en citations et en documens curieux. L’auteur combat M. Röpe, l’avocat orthodoxe de Goetze, avec un acharnement presque injurieux. Cependant M. Röpe, comme M. Sudhoff, a raison d’affirmer que Goetze avait pénétré les intentions secrètes de Lessing. En de pareilles matières, les Goetze ne sont pas des sots.