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IV

Il est facile de comprendre que, dans la situation redoutable où se trouvent à la fois leur flotte et leur armée, les alliés doivent ardemment désirer la paix ; mais ce fatal amour-propre qui aveugle toujours les peuples et les gouvernemens ne permet pas aux trop confians signataires du traité de conquête d’avouer leur impuissance après tant de prétendues victoires, et d’entrer franchement en négociation avec le « tyran » qu’ils devaient détrôner en trois jours. Même après le sanglant revers de Curupaity, ils avaient décliné avec hauteur la médiation des États-Unis, que M. Washburn, ministre de la république fédérale à l’Assomption, leur avait offerte, le 11 mars 1867, en vertu des ordres de M. Steward ; plus tard ils avaient repoussé bien plus fièrement encore une nouvelle proposition qu’avait présentée le général Asboth, ministre des États-Unis à Buenos-Ayres. Cependant, à la suite de pourparlers et d’intrigues dont le secret n’a pas été complètement dévoilé, les chefs de l’armée envahissante durent enfin se décider pour la première fois à faire des ouvertures de paix, tout en essayant de maintenir en apparence leur attitude martiale. Le secrétaire de la légation anglaise de Buenos-Ayres, M. Gould, jeune homme qui sans doute était désireux d’attacher son nom à un événement considérable de l’histoire américaine, s’offrit à servir d’intermédiaire entre les belligérans. Il fit demander au président Lopez l’autorisation de lui remettre officieusement les propositions des alliés, et, débarquant à Curuzu, se rendit par terre au quartier-général de Paso-Pucu, situé au sud-est de la forteresse paraguayenne. C’est là que M. Gould remit à Lopez le projet qui lui avait été confié par le général Mitre, et qui devait servir de base aux négociations de paix. Le premier article de ce programme, rédigé le 12 septembre au camp de Tuyucué, se bornait à demander le secret au gouvernement du Paraguay sur la démarche que faisaient les commandans alliés : avant toutes choses, ils tenaient à sauvegarder leur amour-propre. Quant au fond même des questions en litige, le général Mitre et le marquis de Caxias en faisaient bon marché : d’après les divers articles du projet de négociation, l’indépendance et l’intégrité du Paraguay, devaient être formellement reconnues, ses limites devaient être respectées, les territoires envahis par l’une ou l’autre armée devaient être réciproquement rendus, et les prisonniers de guerre mis en liberté ; le Brésil renonçait même à demander la moindre indemnité pour les énormes dépenses que lui avait occasionnées la terrible lutte. Toutefois, si les alliés, reconnaissant ainsi que la vie de plus