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une périlleuse opération militaire ; aussi le marquis de Caxias eut-il soin de faire accomplir à son armée un énorme détour à travers les marécages de l’Estero-Bellaco. Au lieu de marcher en droite ligne vers le nord pour gagner par le chemin le moins long et le plus facile les savanes où il voulait établir son nouveau camp, il prit la direction de l’est, parallèlement au cours du Parana, de manière à protéger sa gauche par de vastes marécages contre toute attaque des Paraguayens. Arrivée enfin à une assez grande distance des lignes ennemies pour que tout danger eût disparu, l’armée brésilienne se retourna vers le nord, puis vers l’ouest ; les soldats traversèrent un profond marigot où ils avaient de l’eau jusqu’à la ceinture, et, rejoignant la cavalerie qui les avait précédés pour donner au besoin le cri d’alarme, ils se rapprochèrent avec précaution de la forteresse d’Humayta, dont les remparts se profilaient dans le lointain au-dessus des bouquets de palmiers. A vol d’oiseau, la distance qui sépare le camp de Tuyuti de celui de Tuyucué, où les Brésiliens allaient maintenant s’établir, est d’une dizaine de kilomètres seulement, et cependant l’armée avait employé une semaine entière à faire son évolution. Il est vrai que, grâce à ce long et prudent détour, les soldats impériaux ne furent point inquiétés dans leur marche ; mais ils donnèrent aux défenseurs d’Humayta tout le temps nécessaire pour se mettre en garde. Quand les Brésiliens arrivèrent non loin de la forteresse, il était devenu impossible de donner l’assaut immédiatement : sur tous les renflemens du sol, les Paraguayens construisaient de nouvelles batteries de canons, protégées comme celles de Curupaity, de funeste mémoire, par des abatis, des chevaux de frise, des obstacles et des pièges de toute espèce.

L’armée brésilienne avait à peine terminé son évolution militaire que la direction des troupes alliées passait en d’autres mains au grand détriment de la concorde, si nécessaire dans ces conjonctures périlleuses. Le 31 juillet, le président de la république argentine, investi du titre de général en chef par le traité de la triple alliance, arrivait à Tuyucué pour reprendre au marquis de Caxias le commandement que ce vieillard avait exercé par intérim. M. Mitre était accompagné du général Hornos, de quelques aides-de-camp et de deux bataillons formant un effectif d’un millier d’hommes à peine : c’étaient là tous les renforts qu’il amenait à ses alliés. Avec les débris des régimens argentins décimés à Tuyuti et à Curuzu, le contingent de Buenos-Ayres s’élevait au plus à la septième partie de l’armée, et cependant c’est au président Mitre, c’est à ce général sans troupes que revenait l’honneur de commander en chef, tandis que l’empire devait continuer à fournir seul les hommes et