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révolutionnaires en un système complet de spoliation et de communisme.

M. de Sybel, entre autres découvertes, prend la peine de nous apprendre que la révolution française était une révolution sociale. Franchement les esprits sagaces s’en étaient un peu doutés ; ils soupçonnaient bien qu’en même temps qu’elle changeait le régime politique de la France, elle avait changé les assises mêmes de la société. En effet, par la suppression des privilèges, les classes que des barrières de tout genre séparaient jusque-là ont été mêlées de manière à ne former qu’une masse homogène ; l’équilibre de la propriété a été modifié par des mesures que le temps et l’opinion ont consacrées sans retour ; la terre mobilisée, le travail et le commerce affranchis ont développé la richesse industrielle, caractère des démocraties modernes, comme la richesse territoriale était celui des aristocraties d’autrefois ; la forme civile du mariage, la suppression du droit d’aînesse, la liberté de tous les cultes, placés sous un régime d’égale protection, ont posé les bases de la révolution au cœur même de la famille et de la conscience. On s’est efforcé quelquefois de réduire la portée de ces changemens ou de soutenir qu’une révolution n’était pas nécessaire pour les effectuer ; on ne les a jamais niés. M. de Sybel ne s’en soucie guère, et c’est en un sens bien différent qu’il nous dit que la révolution française a été une révolution sociale. Le but qu’elle a poursuivi n’a pas été, selon lui, de créer un état plus juste ni de remédier par des mesures héroïques à un régime qui allait aboutir à la banqueroute et à la ruine ; elle s’est proposé autre chose, à savoir, de réaliser la plus folle des utopies, la destruction de la propriété. Il lui faisait honneur d’avoir contribué à hâter la fin du régime féodal ; non, elle ne l’a pas renversé, elle l’a retourné. « A peine eut-on proclamé que le gouvernement ne pouvait plus s’enrichir aux dépens du peuple, la masse affamée se rappela qu’elle-même détenait maintenant la puissance politique. Au lieu de nier le pouvoir féodal, elle ne songea qu’à le retourner. La puissance publique avait servi jusqu’alors à augmenter la fortune des riches ; elle devait à cette heure être employée au bénéfice exclusif des pauvres, rien ne parut plus juste. L’état dut garantir non-seulement la liberté du travail, pour que chacun pût acquérir, mais l’égalité de jouissances sans travail. L’état dut être assez fort pour s’emparer de tous les biens en cas de besoin et les partager, et il ne put d’autre part ouvrir un trop large accès au pouvoir pour assurer à chaque prolétaire la réalisation de ses désirs[1]. » Ce ne sont pas ici les rêves passagers de quelques esprits en délire, c’est un plan dont l’historien aperçoit les vestiges

  1. Tome Ier, p. 97.