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qu’au mois de janvier 1791 le ministre de Prusse, M. de Goltz, soit chargé d’offrir à Louis XVI une armée de quatre-vingt mille hommes pour rétablir l’ordre en France comme la Prusse l’avait déjà fait naguère en Hollande ? Il répond à tout cela par des lettres secrètes, par des dépêches contradictoires, par le va-et-vient des conversations, qui prouvent uniquement les incertitudes, les peurs, les difficultés de s’entendre. En effet, les vieilles rivalités, les antipathies personnelles, les rancunes de famille, se mêlent encore chez les souverains à leur horreur de la révolution et en retardent l’explosion. C’est à une tradition de ce genre qu’obéissait la fille de Marie-Thérèse lorsqu’elle fit rejeter l’offre de la Prusse. A la fin, la haine de la révolution l’emporte, et la convention de Pilnitz[1] apprend au monde qu’après un demi-siècle d’inimitié les maisons d’Autriche et de Brandebourg se sont réconciliées contre nous en même temps qu’elle avertit la révolution que Léopold II et Frédéric-Guillaume vont « travailler de concert » à mettre le roi de France en état d’affermir dans sa pleine liberté les bases d’un gouvernement monarchique également conforme au droit des souverains et au bien-être de la nation française, et qu’en attendant leursdites majestés donneront à leurs troupes les ordres convenables, pour qu’elles soient prêtes à se mettre en mouvement. »

La France, qui ne voyait pas aussi clair que M. de Sybel dans le cœur des souverains, qui ne lisait pas leurs dépêches secrètes et n’était pas au fait de leurs indécisions, forcée de se conduire à la simple lumière du sens commun et de la vraisemblance, devait prendre au sérieux leurs démonstrations et s’armer au plus vite pour prévenir l’ennemi. Elle y était d’autant plus obligée que les souverains avaient des instigateurs bien impatiens, au dehors les émigrés, à l’intérieur la cour, la noblesse restée en France, le clergé. On a bientôt fait de déclarer ridicules ou purement simulés les soucis qu’une poignée d’émigrés causait à la révolution, de taxer de mesures démagogiques ou de défis calculés pour rendre la guerre inévitable toutes les démarches du gouvernement français. Il est très permis de penser que, parmi ces mesures, prises sous l’inspiration de la colère, plusieurs étaient contraires à la justice et surtout n’étaient point d’une politique prudente ; mais elles procédaient d’une agitation trop justifiée par l’état de choses pour n’être pas sincère. Il n’y a plus moyen d’en douter aujourd’hui, les ennemis de la révolution et de la France avaient des intelligences jusqu’avec le chef du gouvernement. Dès la fin de 1790, Louis XVI appelle les puissances étrangères à son secours[2], et c’est six mois

  1. 27 août 1791.
  2. Lettre au roi de Prusse en date du 29 décembre.