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mondé, d’arriver aux transactions qui sont la loi des choses humaines, et sans lesquelles les sociétés seraient livrées à l’empire d’une puissance nécessairement écrasante dès qu’elle serait unique. Si douloureuses que soient ces luttes, elles coûtent moins cher encore à la dignité et à l’humanité qu’une domination sans limite et. sans contre-poids, et c’est assez pour nous en consoler. Il est heureux aussi que, dans cette lutte inégale entre l’institution monarchique et féodale, soutenue par les armes de la vieille Europe, et la raison humaine s’efforçant d’établir un meilleur ordre de choses, celle-ci ait eu pour elle l’indomptable énergie d’un seul peuple, son attachement furieux aux principes qu’il avait proclamés et à l’intégrité de la patrie. Ce n’est pas nous seulement, fils ou petits-fils de cette génération, qui devons la saluer avec reconnaissance, c’est tout esprit attaché à la liberté. Que serait-il advenu de celle-ci et pour combien de temps aurait-elle été retardée, si la France s’était laissé vaincre, si les souverains coalisés y étaient entrés triomphans pour y restaurer, dès 1792, ce que la révolution venait à peine d’abattre, et quels droits élémentaires serions-nous obligés de revendiquer encore à l’heure qu’il est ? Sans doute la vérité l’emporte à la longue et n’est jamais refoulée que pour un temps ; mais, quand nous avons laissé échapper l’occasion, la nature, qui dispose des siècles et se soucie peu de nos impatiences, ne se hâte pas toujours de la faire renaître.

La guerre est sortie de la situation qui avait mis en présence et, pour ainsi dire, enfermé dans un champ clos l’ancienne société et la nouvelle. Si pourtant on attache une si grande importance à savoir de quel côté est venue la première attaque, la réponse est facile, et il faut que la question soit bien simple pour qu’avec tout son art de faire sortir le doute de l’histoire en secouant sur les faits les plus avérés la poussière des archives qu’il a feuilletées, M. de Sybel ne soit pas parvenu à l’embrouiller. Ou bien il n’y a pas d’agression jusqu’à ce que les dernières voies de fait aient été commises, et dans ce cas jamais peuple n’eut le droit de s’armer contre un ennemi avant de le voir au cœur du pays, ou bien il faut avouer que la France avait le droit de déclarer la guerre aux souverains coalisés qui assiégeaient ses frontières. Qu’on dispute tant qu’on voudra sur l’opportunité de cette déclaration, que les publicistes recherchent encore quels étaient les prudens et les politiques de ceux qui, au commencement de 92, demandaient la guerre à grands cris ou de ceux qui voulaient l’ajourner, cela se conçoit à merveille ; la question fut longtemps débattue, on sait avec quelle passion, par des partis également dévoués à la révolution[1], et sans doute il

  1. M. de Sybel accuse également d’avoir poussé à la guerre et les girondins, qui la demandaient, et Robespierre, qui s’y opposait. Quiconque voulait la révolution voulait la guerre. Nous pourrions dire, en faisant un raisonnement qui certes vaut bien celui-là : Quiconque voulait l’ancien régime voulait par cela même la révolution.