Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/919

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il serait assurément superflu de montrer une fois de plus que la lutte pouvait bien éclater à tel moment ou à tel autre, par le fait de l’Europe monarchique ou par celui de la révolution française, mais qu’elle était dans tous les cas inévitable. Nous ne faisons nulle difficulté de reconnaître qu’en dépit de la philosophie, qui de longue date y avait préparé les esprits, la révolution dut apparaître aux souverains comme un intolérable scandale, disons tout, comme une menace directe,. Le voisinage d’une démocratie libre, d’un peuple en révolution, ardent, communicatif, rayonnant encore de l’éclat qu’il venait de jeter pendant deux siècles dans toutes les sphères de la pensée, fier de l’ascendant qu’il avait exercé sur toute l’étendue de l’Europe par l’empire accepté de ses écrivains et par la connivence de la plupart des princes, un tel voisinage était certes un incontestable danger. On vit assez, vingt ans plus tard, à quel point la contagion avait été profonde, lorsque, pour soulever les peuples contre nous, il fallut qu’au désir de l’indépendance et à la haine de l’étranger les souverains ajoutassent l’aiguillon des idées de la révolution, des espérances de liberté, d’égalité, de justice, qu’elle avait fait briller la première ; ces idées, dont alors on se faisait un jouet, eurent plus de force que tout le reste pour éveiller le courage des nations. Dès le premier jour, les princes, en sentant le sol miné sous leurs trônes, s’étaient inquiétés à juste titre et avaient eu raison de croire que c’était leur procès qui se jugeait en France. M. de Sybel accordera bien en revanche qu’à moins d’être frappée d’un étrange aveuglement la révolution dut comprendre aussi ce qu’elle amassait contre elle d’indignations, et prévoir, avant même que les souverains eussent parlé, que leur hostilité ne resterait pas longtemps inactive et lui préparait de terribles assauts. Sans faire la part trop grande à une fatalité qui d’ailleurs n’a rien cette fois de mystérieux ni d’aveugle, il est permisse dire que le combat était inévitable. J’ajoute, et je prie qu’on ne m’attribue pas la moindre intention d’énoncer un paradoxe, qu’il est honorable pour la nature humaine, et qu’en fin de compte il est heureux que de tels combats aient lieu. Cela est honorable : une puissance établie qui désarmerait sans lutte à la première sommation serait la condamnation de qui l’exerce et l’opprobre de qui la subit ; cette facile abdication, ce prompt assentiment à la défaite, cette résignation à périr sans résister, seraient la marque d’une puissance dès longtemps convaincue qu’elle n’a aucune légitimité, ou incapable de combattre pour le droit ; le dernier titre au respect d’une institution qui va disparaître est de croire assez en elle-même pour ne vouloir tomber que sous les coups répétés du destin. Cela, dis-je, n’est pas moins heureux, car la lutte est le seul moyen de trouver le vrai point d’équilibre entre les autorités anciennes et les forces nouvelles qui se disputent le