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dépossédés. De là l’importance attachée par eux aux formes politiques, importance dont M. de Sybel, toujours difficile à contenter, trouve moyen de faire un nouveau reproche à la révolution. Du jour où la monarchie sans contrôle était apparue comme la cause du mal, on dut être porté naturellement à s’en éloigner, et d’étape en étape on ne s’arrêta que dans la démocratie absolue. Nul ne prétend soutenir que la révolution n’ait pas commis des fautes graves dans le choix et l’arrangement des formes politiques, et il est bien permis de regretter que, sous la double impulsion d’événemens funestes et du fanatisme d’une multitude irritée, elle en soit venue à n’avoir foi que dans le gouvernement des classes les plus nombreuses, force mobile et facile à séduire, parce qu’elle est passionnée, prompte à s’égarer, parce qu’elle ne saurait posséder ni l’expérience ni la prévoyance politiques. Au lieu de diminuer l’importance des formes politiques, ces méprises, la font mieux ressortir, et peu d’esprits réfléchis doutent à l’heure qu’il est qu’elles ne comptent parmi les plus fatales erreurs de la révolution. Plus sagement équilibrée et maniée avec plus de prudence, la machine politique aurait-elle suffi pour empêcher tous les cataclysmes et tous les crimes ? Personne n’oserait le dire ; mais elle eût certainement prévenu bien des chocs et écarté plus d’un péril. Il est extrêmement difficile de démêler dans les critiques de M. de Sybel quelle forme il eût estimée la plus convenable pour la France. Il oppose l’une à l’autre la centralisation et la démocratie, quoique toute notre histoire depuis la révolution montre assez clairement qu’elles ne sont point incompatibles, et plus la première lui paraît conforme à notre nature, plus il est décisif à soutenir que nous sommes incapables de la seconde : conclusion singulière, quand on songe qu’elle s’applique à un peuple auquel on a reproché, non sans raison, de trop sacrifier à l’égalité, et qui n’a pas d’instinct plus enraciné que son antipathie invincible contre les distinctions aristocratiques de l’ancien régime. On ne saurait se flatter de comprendre toujours parfaitement un écrivain qui se plaît à employer dans un sens particulier les mots les moins équivoques, et qui, par exemple, identifie la démocratie et la liberté. Si elles ne s’excluent pas l’une l’autre, elles ne sont pas non plus identiques, et l’expérience montre qu’elles peuvent se trouver chez un peuple en raison inverse l’une de l’autre. M. de Sybel a besoin de les confondre pour en faire l’apanage de la race anglo-saxonne et pour nous déclarer au contraire absolument inhabiles à les posséder. « Ses qualités et ses défauts, dit-il en parlant de la France, la poussent également vers une monarchie qui paraîtrait aux autres nations presque une tyrannie[1], » ce qui n’empêche

  1. Tome II, p. 10.