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été proclamé, voudraient en attendre du temps la réalisation progressive, et laisser beaucoup d’abus apparens ou réels disparaître par degrés sous l’action lente, bien que continue, de la raison publique. Constitutionnels, feuillans, girondins, quel que soit le régime dont ils veulent doter la France, ils s’accordent tous dans cette grande pensée, qu’il faut à la société des institutions fixes, et que l’homme ne peut établir d’emblée tout ce qu’il conçoit, remplacer par son action improvisée le cours et la collaboration des siècles. La sagesse était, on peut le dire, de leur côté, et il sera à jamais regrettable qu’ils n’aient pas eu le dernier mot. En face de ces partis se trouvent ceux qui, dans l’aveugle impétuosité de leurs désirs, s’élancent au travers de tous les obstacles à l’assaut du droit idéal qui leur apparaît obscurément, c’est-à-dire les rationalistes à outrance, qui ne croient rien de fait lorsqu’il reste quelque chose à faire. Tandis que les premiers placent toujours à portée de la vue et de la puissance humaines le droit réalisable, les autres en poursuivent l’image mobile jusqu’aux confins du royaume des rêves. Ces deux grands partis, qui enveloppent toutes les dissidences secondaires, se sont heurtés et combattus à toutes les époques de la révolution ; on a vu cette division poindre dans la constituante, s’accentuer dans la législative, atteindre dans la convention le dernier degré de la violence. A plus d’une reprise, les partis ont paru changer de rôle ; tels qui la veille étaient les défenseurs du droit idéal se sont trouvés le lendemain, mais déjà trop tard, former en face d’adversaires plus emportés le parti des politiques. Il s’est rencontré à la fin une faction de rationalistes que l’ivresse de la logique avait conduits à cette monstrueuse contradiction de rendre impossible ou de repousser expressément toute forme politique, parce qu’ils croyaient y voir une limitation du droit idéal, comme si le droit ne se dérobait pas à toutes les prises de la raison dès qu’on le sépare absolument des réalités qui en sont la substance, comme s’il pouvait même exister un droit quelconque en dehors d’un ordre de choses établi et d’institutions acceptées et tutélaires. Ce sont ces excès, ce sont les conséquences déplorables qu’ils ont produites, que les législateurs de la constituante voulaient prévenir par cette déclaration des droits, devenue, quoi qu’on en dise, la charte désormais indestructible des peuples policés, et qui, tout en ne parlant que de droits, impliquait si clairement le devoir souverain de respecter chez tous le droit qu’il était permis à chacun de revendiquer.

Ces législateurs entendaient donner aussi pour garantie et pour commentaire à la déclaration des droits des institutions capables de maîtriser à la fois les prétentions des classes émancipées et les tentatives réactionnaires de ceux que la révolution avait