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envahi. La classe moyenne n’avait pas désappris toute vertu ; si la monarchie la tenait de plus en plus éloignée des affaires, ses grands hommes, depuis trois siècles, la nourrissaient des vérités sociales qui devaient faire sa force au jour de l’action : aussi a-t-elle manifesté ce jour-là dans ses meilleurs représentans, n’en déplaise à M. de Sybel, une sûreté de vues, une décision de volonté, une rectitude pratique incomparables. Au-dessous de cette classe moyenne, il y avait un peuple, misérable sans doute et trop aigri par la triste imprévoyance des classes privilégiées, mais vivace et robuste, qui gardait au plus haut degré la dernière vertu politique qui résiste à l’ignorance, le sentiment national. Si le byzantinisme, pour parler comme M. de Sybel, avait fait du peuple français ce qu’il dit, la révolution ayant échoué, la France devrait avoir déjà disparu, ou n’être plus comptée pour rien ; il nous semble que depuis quatre-vingts ans elle a fait néanmoins quelque figure dans le monde, je ne dis pas par ses armes, c’est une gloire que je ne me soucie pas de revendiquer, mais par sa participation au labeur commun des peuples civilisés.

Au fond, le grief sérieux de M. de Sybel contre la révolution française est la prétention qu’elle eut d’imposer ses idées au monde, qui n’en avait aucun besoin. Il veut bien reconnaître en elle, malgré tout, un des épisodes de la grande révolution qui a engendré le monde moderne, et qui tend à instituer partout sur les ruines des autorités factices le règne de la liberté, de la raison et du droit, Elle procède des mêmes principes que le combat de l’Allemagne contre la hiérarchie catholique, et que ceux de la Hollande contre l’Espagne, de l’Angleterre contre les Stuarts, de l’Amérique contre l’Angleterre. Seulement elle a eu le malheur de s’égarer dès les premiers pas, et l’on ne voit guère ce qui la caractérise aux yeux de M. de Sybel, si ce ne sont ses écarts mêmes ; en second lieu, elle a eu le tort d’affecter une portée universelle, tandis qu’elle était un fait exclusivement français, légitime en France, où il y avait des abus à détruire et des maux à réparer, mais qui ne devait point dépasser ses frontières. Cette opinion, qui n’est pas nouvelle, ne tient pas devant une observation attentive. A Dieu ne plaise que je prétende ériger, comme on l’a fait ridiculement, la révolution la moins mystique qui fut jamais en je ne sais quelle révélation ! Qui s’aviserait cependant de contester qu’il y ait en Europe quelque chose qu’on appelle les idées de la révolution, idées acceptées des uns, repoussées par les autres, et que personne ne peut méconnaître ? Qu’on y voie le résultat d’une servile imitation ou d’une maladie que la France aurait inoculée au monde, l’existence de ce courant n’en est pas moins incontestable, et la sainte-alliance des souverains sous la restauration, comme cette autre sainte-alliance formée à leur insu par