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révolution française et jusqu’à sa naissance. Il aperçoit, il est vrai, des causes profondes qui la rendaient inévitable ; mais ces causes sont de telle nature que, s’il en était sorti autre chose qu’une longue suite d’aberrations, c’eût été un vrai miracle. « L’exemple de la cour depuis François Ier jusqu’à Louis XV avait démoralisé les classes supérieures jusque dans la moelle des os ; la classe moyenne, de plus en plus dépouillée de droits politiques, était par suite devenue de plus en plus étrangère aux conditions de la vie publique ; la masse du peuple, rongée sans relâche par la faim et la misère, était tombée dans un profond avilissement[1]. » On se demande en lisant ces lignes par quel moyen une nation en proie depuis si longtemps aux vices et à l’oppression d’un régime byzantin eût pu se relever, si ce n’est par une énergique réaction sur elle-même, c’est-à-dire par une révolution. Placez l’initiative politique où vous voudrez, dans une classe d’élite, dans un grand ministre ou dans le prince, la régénération ne peut s’opérer miraculeusement ; il faut du moins que la nation n’y résiste pas par la dégradation de son état moral, et que tous les ressorts de la vie n’y soient pas détruits.

On sait comment, de son point de vue catholique, M. de Maistre considère la révolution française : elle a été d’autant plus salutaire qu’elle a été plus atroce et plus délirante ; les fautes dont s’étaient chargés toutes les classes et les souverains eux-mêmes exigeaient cette expiation par le sang, source mystérieuse et unique de renouvellement. M. de Sybel admet le même point de départ, mais pour arriver à une conclusion contraire : à tout prendre, la révolution a été mauvaise, quoiqu’elle ait peut-être, ajoute-t-il par inadvertance, accéléré d’un siècle pour toute l’Europe la chute du système féodal[2]. Personne ne songe à nier le triple effet de la corruption par l’exemple, par la misère et par l’arbitraire, et ne conteste le mal que l’ancien régime avait fait à la France. Nous ne fermons pas les yeux aux défaillances ou aux erreurs que peuvent offrir certaines pages de notre histoire, nous tâchons de nous en souvenir assez pour échapper à une infatuation ridicule, qui est le mensonge du patriotisme, et nous défendre de l’ingratitude à l’égard de ceux qui ont fait la révolution. Que dans cette révolution bien des erreurs et des fautes s’expliquent par l’éducation monarchique et catholique de la France, je ne refuserai pas de l’admettre, sans vouloir pour cela tout rapporter à une sorte de péché originel et décharger les individus de la juste responsabilité qui doit peser sur chacun d’eux. Ce que je nie, c’est que la corruption eût tout

  1. Tome II, p. 49.
  2. Il dit à ce sujet : « Tout est utile à une bonne cause, einer guten Sache zulezt Jegliches Nutsen schafft, » phrase d’un sens très contestable, si elle en a un. — Tome II, p. 8.