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demain à pendre[1]. Cette province est un bel exemple pour les autres, et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes, de ne point leur dire d’injures, de ne pas jeter de pierres dans leur jardin. Enfin vous pouvez compter qu’il n’y a plus de Bretagne… » « Si vous voyiez l’horreur, la détestation, la haine qu’on a ici pour le gouverneur, vous sentiriez bien plus que vous ne faites la douceur d’être aimée et honorée. Quels affronts ! quelles injures, quelles menaces[2] ! »

Mme de Sévigné s’identifie si bien avec les douleurs de la province, qu’elle accueille jusqu’aux bruits populaires les moins établis. Au lieu de quatre roués, elle en met dix ; elle ajoute un zéro au chiffre des six pendus ; elle célèbre enfin dans des termes d’une audacieuse liberté le refus qu’aurait fait le parlement de se racheter de l’exil en consentant à l’érection d’une citadelle pour dominer la ville de Rennes, et adresse un noble adieu aux magistrats courageux qui se sont éloignés plus vite qu’on n’aurait voulu, préférant les maux aux remèdes[3].

Cependant le duc de Chaulnes attachait trop de prix à demeurer gouverneur de Bretagne pour ne pas souhaiter, après l’ample satisfaction donnée à sa vengeance, le rétablissement dans cette province d’une situation administrative régulière. Afin de retrouver quelque point d’appui sur cette terre bouleversée, il insista vivement pour la convocation des états, et parvint à obtenir l’autorisation de les ouvrir à Dinan le 6 novembre 1675. En ceci, le duc fut bien servi par son instinct politique, car messieurs des états, accablés tour à tour par les horreurs de la révolte et par celles de la répression, s’attendant d’ailleurs à n’être plus réunis, s’abandonnèrent sans réserve à la clémence royale, et ne soulevèrent les questions antérieurement agitées que dans la mesure où le soin de leur honneur le leur commandait absolument. Espérant désarmer les colères en donnant une satisfaction préalable aux intérêts, ils commencèrent par porter le don gratuit à 3 millions, puis ils versèrent sur toutes les têtes une pluie si abondante de gratifications que Mme de Sévigné, qui aurait pu recueillir pour elle-même quelques gouttes de cette averse, déclarait « la folie des états parvenue au comble de toutes les petites maisons. »

Après le vote du don gratuit, fixé sans débat dès l’ouverture de l’assemblée, le premier soin des états, tremblant pour leur propre

  1. De ces soixante bourgeois, pris à peu près au hasard, car les principaux avaient quitté la ville avant l’arrivée des troupes, six seulement furent exécutés ; les autres furent envoyés aux galères ou bannis.
  2. Lettres des Rochers des 16, 20, 30 décembre et 6 novembre 1675.
  3. Lettre du 30 novembre 1675.