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Balle en bouche, la cavalerie avec le mousquet haut et l’épée nue à la main, M. de Chaulnes ayant à sa droite M. de Marillac, maître des Requêtes et intendant de justice, envoyé pour faire le procès aux séditieux, et à sa gauche M. de Forbin, général des troupes du roi en Bretagne[1]. » Comme Rennes n’avait pas de casernes, puisque cette ville ne recevait jamais de garnison, les troupes furent logées chez l’habitant. Elles se tinrent sur le pied de guerre, continuant durant tout leur séjour, malgré une tranquillité profonde, de faire des patrouilles de jour et de nuit, et procédant à domicile au désarmement général, dont les seuls gentilshommes furent exceptés. Le 16, M. de Marillac porta au palais, au milieu des cris de désespoir d’une population ruinée, une déclaration du roi qui transférait le parlement de Bretagne à Vannes, où il demeura en effet quatorze ans malgré les supplications réitérées des états de la province. Pour les faits qui vont suivre, c’est à Mme de Sévigné qu’il faut laisser la parole, car quel récit vaudrait le sien, et quel témoignage est à la fois plus accablant et moins suspect ?

« M. de Chaumes est à Rennes avec 4,000 hommes, il a transféré le parlement à Vannes, c’est une désolation terrible. La ruine de Rennes emporte celle de la province. Je prends part à cette tristesse et à cette désolation. On ne croit pas que nous ayons d’états, et si on les tient, ce sera encore pour racheter les édits que nous achetâmes il y a deux ans, et qu’on nous a tous redonnés. M. de Montmoron[2] s’est sauvé ici pour ne point entendre les cris et les pleurs de Rennes en voyant sortir son cher parlement… » « Voulez-vous savoir des nouvelles de Rennes ? Il y a présentement 5,000 hommes, on a fait une taxe de 100,000 écus sur les bourgeois, et si on ne trouve pas cette somme dans les vingt-quatre heures, elle sera doublée… M. de Chaulnes n’oublie pas toutes les injures qu’on lui a dites, et c’est cela qu’on va punir… On a chassé et banni toute une grande rue, et défendu de les recueillir sous peine de mort, de sorte qu’on voit tous ces misérables, femmes accouchées, vieillards, enfans, errer en pleurs au sortir de la ville, sans savoir où aller, sans avoir de nourriture ni de quoi se coucher[3]. Avant-hier on roua un violon qui avait commencé la danse et la pillerie du papier timbré. On a pris soixante bourgeois ; on commence

  1. Journal manuscrit de M. de La Corneuve cité par M. de La Borderie.
  2. M. de Montmoron, doyen du parlement, était d’une branche de la maison de Sévigné.
  3. La rue Haute, dont les habitans furent bannis par arrêt du conseil rendu le 16 octobre, pourrait être nommée la rue du Chat pourri. La démolition des maisons, commença quelques mois après ; mais on épargna celles que les propriétaires consentirent à racheter moyennant finance, et la moitié du faubourg seulement fut rasée, la cupidité ayant triomphé de la vengeance.