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Maunoir vit le danger qui menaçait ces malheureux, également incapables de mesurer l’étendue de leur faute et d’en prévoir l’expiation. Il se dévoua donc au l’établissement de la paix avec un zèle sans bornes, et son intervention opportune arrêta l’incendie qui menaçait de s’étendre du diocèse de Quimper à ceux de Vannes et de Saint-Brieuc. Il fit annoncer une grande mission au centre du bassin que forment les chaînes réunies des montagnes d’Arrhes et des Montagnes-Noires. Toutes les populations y accoururent de plusieurs lieues de distance, mais dans des dispositions assez peu rassurantes pour la paix publique, s’il est vrai, comme l’affirme le biographe du père Maunoir, qu’une foule de paysans entrèrent d’abord dans l’église les armes à la main afin d’y chercher la gabelle qu’on disait cachée dans le bagage des missionnaires[1]. Toutefois un changement aussi rapide que merveilleux ne tarda pas à s’opérer au sein de ces populations dont la ferveur égalait la rudesse. À peine le père Maunoir eut-il prononcé quelques paroles, qu’elles comprirent tout ce qu’il y avait d’insensé dans ces bruits ridicules et de coupable dans la crédulité avec laquelle elles les avaient accueillis. En quelques jours, le calme rentra dans ces cœurs ulcérés, et lorsqu’à la procession finale le prêtre chargé de représenter Jésus-Christ dans les tortures de sa passion parut le roseau à la main et la couronne sanglante au front, le père Maunoir, demandant aux milliers de spectateurs qui l’entouraient s’ils étaient résolus à crucifier de nouveau le sauveur des hommes en entretenant des pensées de révolte et de mort, tout ce peuple tomba la face contre terre en poussant de longs cris de miséricorde.

Ayant ainsi concouru à l’apaisement de la province, Maunoir commença la plus difficile partie de sa tâche. Il se rendit au Port-Louis, afin de recommander à la clémence du gouverneur ces malheureux égarés et d’obtenir la grâce d’assister ceux que la justice du roi voudrait frapper. On soupçonnait en effet que M. de Chaulnes entendait mesurer la rigueur des châtimens à la hardiesse de la révolte, et que l’arrivée des troupes royales lui en fournirait les moyens. Au commencement de septembre, le duc porta son quartier-général à Guingamp, et l’on sait, grâce à M. Ropartz, ce qu’il en coûta à cette communauté pour défrayer un régiment ; ce curieux mémoire peut être mis en regard du menu, désormais historique, des troupes prussiennes à Francfort. La mort des trois rebelles accrochés à la potence par les bourgeois avant l’arrivée du gouverneur ne fut pas considérée comme une satisfaction suffisante ; le grand-prévôt se mit donc à l’œuvre, et une femme, témoin oculaire de ces exécutions quotidiennes, écrit que les pauvres paysans

  1. Vie du R. P. Maunoir, par le père Boschet, Paris, 1697, in-12, p. 360.