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des magnificences du grand règne, et peut-être de lointains échos ont-ils fait arriver jusqu’à lui le bruit des grands scandales et des grandes prodigalités. La seule chose qu’il sache de cette fière royauté devant laquelle s’incline l’Europe, c’est que la bourse du roi de France est profonde comme la mer, et comme l’enfer toujours béante[1].

Tandis que les bonnets bleus parcouraient le diocèse de Quimper, et que les bonnets rouges agissaient de même dans ceux de Léon et de Tréguier, le duc de Chaulnes ne sortait de Port-Louis que pour des excursions rapides. En septembre arrivèrent enfin les premiers renforts, faute desquels il n’avait pu jusqu’alors rien entreprendre de décisif. Ce corps, fort de six mille hommes, pénétra par Nantes en Bretagne ; mais avant l’arrivée des troupes le gouverneur avait reçu des auxiliaires sur lesquels il n’avait point compté, et leur intervention inattendue forme un touchant épisode dans ce drame sinistre.

Les dévouemens religieux n’ont jamais manqué au sol armoricain. Au milieu de ces personnages, deux figures se font surtout

  1. Je n’hésite pas à donner ici, malgré son étendue, le chant connu sous le nom de la Ronde du papier timbré, l’une des inspirations les plus originales du génie poétique de la Bretagne :
    « Qu’elle nouvelle en Bretagne ?… Que de bruit ! que de fumée ! — Le cheval du roi, quoique boiteux, vient d’être ferré de neuf ; — Il va porter en Basse-Bretagne le papier timbré et les scellés. — Le roi de France a six capitaines, bons gentilshommes, gens de grande noblesse ; — Le roi de France a six capitaines pour monter sa haquenée. — Deux sont en selle, deux sur le cou, les deux autres sur le bout de la croupe. — Légère armée qu’a le roi de France ! — Dans notre balance, elle ne pèsera pas cent livres ! — Le premier porte le pavillon et la fleur de lis du poltron ; — Le second tient une épée rouillée qui ne fera grand mal à personne ; — Le troisième a des éperons de paille pour égratigner la sale bête ; — Le quatrième porte deux plumes, l’une sur son chapeau de capitaine ; — L’une sur son chapeau de capitaine et l’autre derrière l’oreille. — Avec le cinquième viennent les herbes de malheur : le papier timbré, la bourse vide, — La bourse du roi, profonde comme la mer, comme l’enfer toujours béante ! — Enfin le dernier tient la queue et conduit le cheval en poste. — Quel équipage a le roi ! quelle noblesse ! quelle armée ! — Or, à leur première arrivée, avec leur timbre, en ce pays, — Ils étaient vêtus de haillons et maigres comme des feuilles sèches ; — Nez longs, grands yeux, joues pâles et décharnées ; — Leurs jambes étaient des bâtons de barrières, et leurs genoux des nœuds de fagots ; — Mais ils ne furent pas longtemps au pays qu’ils ne changèrent, nos six messieurs ; — Habits de velours à passementeries, bas de soie et brodés encore ! — Nos six croquans s’étaient même acheté chacun une épée à garde d’ivoire. — En bien peu de temps, dans nos cantons, ils avaient changé de manière d’être. — Face arrondie, trogne avinée, petits yeux vifs et égrillards, — Ventres larges comme des tonneaux, voilà le portrait de nos six huissiers : — Pour les transporter jusqu’à Rennes, on creva six chevaux de limon ! — Lors de leur arrivée première, avec leur timbre, en ce pays, — Jean le paysan vivait aux champs tout doucement, bien tranquille, à l’aise. — Avant qu’ils s’en retournassent chez eux, il y avait eu du trouble dans nos quartiers ; — Il en avait coûté à nos bourses de faire requinquer ces gaillards ! — Mes amis, si ce n’est pas faux ce que racontent les vieillards, — Du temps de la duchesse Anne, on ne nous traitait pas ainsi ! »