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de me rendre à sa gracieuse et honorable invitation. Ah ! le devoir ! Il commande et j’obéis. Il y a des choses qui n’attendent pas : la mort entre autres et les tenants et aboutissants d’icelle. »

Mme Portal poussa un cri d’effroi : « Pour Dieu ! monsieur Foucou, si vous venez d’un lit de mort, ne m’approchez pas !

— Rassurez vos grâces, belle dame, je ne connais ni morts ni malades, et s’il faut appuyer mon dire de quelque preuve démonstrative, la discrétion professionnelle ne me défend pas d’indiquer le client qui m’a fait perdre une si précieuse soirée. C’est un grand propriétaire foncier qui habite à quelques lieues de Grenoble, un vaillant chasseur devant Dieu, terreur des loups, des sangliers et des ours. »

Plusieurs voix désignèrent M. de Vaulignon, qui était louvetier en titre.

« C’est vous qui l’avez dit, poursuivit le notaire. Je ne l’ai pas nommé, quoique rien n’interdise à un officier ministériel de se faire honneur des visites qu’il reçoit. Voilà notre belle Mme Portal bien rassurée, car s’il était vrai que le marquis prît des dispositions, ce que j’ignore, ce serait de sa part un luxe de prudence. Quelle noble santé ! et quelle force d’âme en présence des questions les plus solennelles ! C’est lui qui aurait bien le droit "d’employer la formule : « Je soussigné, sain de corps et d’esprit… »

Mais je doute qu’il sache prévoir les malheurs de si loin. Cependant lorsqu’on a deux ou trois millions à laisser,… je ne sais rien, j’indique vaguement la fortune qu’on lui prête,… et lorsqu’on est chargé par la Providence d’assurer la grandeur et la perpétuité d’un grand nom I… il faut penser à tout. Ceux qui n’ont qu’un seul héritier sont bien libres de mourir intestats, si bon leur semble. Oui, mais la question ne se présente pas souvent avec cette simplicité… »

Le bonhomme s’arrêta un moment, et ses yeux firent le tour de l’assemblée en quêtant une interrogation qui lui permit de poursuivre. La femme d’un conseiller prit pitié de sa peine et dit :

« Combien a-t-il d’enfants, le marquis de Vaulignon ?

— Ah ! vous pensez encore au marquis, chère dame ? Moi je n’y étais plus. Je suivais mon idée dans une tout autre direction. M. de Vaulignon doit avoir deux enfants, si je ne me trompe : un fils d’abord,… je dirais même avant tout, car enfin un fils est presque tout dans ces vieilles familles. Bienheureux les garçons ! j’en ai vu plus d’un en ma vie à qui le bien venait en dormant. N’allez pas croire au moins que M. le comte soit un endormi ! Ce n’est pas de son lit qu’il attend la fortune, c’est sous bois, au triple galop, derrière la meute de son père : Nemrod, fils de Nemrod ! Je suppose néanmoins que, s’il trouvait sur sa route une couple de millions en