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ceux qu’il arrêtait la veille, en laissant l’Italie dans la plus effroyable épreuve.

Garibaldi est vaincu aujourd’hui, et il a le sort de tous les vaincus, il porte la peine de sa folle aventure. Il ne restera pas moins toujours Garibaldi, âme de feu, cœur de lion, tête puérile et vaine, personnification pittoresque du patriotisme italien, héros légendaire, l’homme enfin qui n’a qu’à frapper du pied le sol pour en faire jaillir des légions de volontaires, capable d’agrandir en un jour son pays et aussi de le perdre en un jour. Sa force est dans l’impulsion irréfléchie qui le fait ressembler à un boulet de canon et dans cette parfaite bonne foi avec laquelle il fait tout, même les choses ridicules aussi bien que les choses grandioses, allant en Sicile ou baptisant gravement des enfans sur son passage comme il faisait cet été, bravant la mitraille ou adressant tranquillement des circulaires aux représentans des puissances européennes pour leur signifier que le pape n’est rien à Rome, que seul il est l’autorité légitime. Son tort est de croire qu’il peut tout, de s’exagérer à lui-même, son rôle, et cela me fait souvenir d’un mot piquant de Cavour, qui prétendait que le vrai Garibaldi, c’était le roi, que l’autre n’était qu’un faux Garibaldi. — Cela veut dire que Garibaldi peut beaucoup quand il a le pays et le roi derrière lui, quand il ne va pas se heurter contre l’impossible. Alors il réussit, hors de là il échoue comme le plus vulgaire des révolutionnaires, et sa popularité peut à peine le sauver du naufrage. Ce qu’on peut le moins lui reprocher dans tous les cas, c’est de dissimuler, de conspirer dans l’ombre ; lui, il conspire tout haut, il ne laisse ignorer à personne où il va. Comment a-t-il été conduit à cette dernière entreprise ? Mon Dieu, ce n’est peut-être pas aussi compliqué qu’on le croit. Il n’est pas en vérité facile de tenir au repos un héros de ce genre, de le renvoyer à Caprera quand on n’en a plus besoin. Le fait est que Garibaldi n’était pas content de lui depuis sa campagne du Tyrol de l’an dernier ; il n’était pas accoutumé à cette guerre obscure contre des rochers et il se sentait presque déshonoré pour avoir fait si peu. Il se croyait tenu de se relever, et alors, avec cette candeur terrible de l’homme qui croit qu’on arrive toujours quand on part, il s’est dit qu’il fallait partir pour Rome. Il s’est mis à reprendre son rôle d’agitateur, à parcourir l’Italie, à organiser partout ces comités de secours, ces enrôlemens qui devaient lui donner encore une armée pour aller cette fois au Capitole. Cela a duré six mois, pendant lesquels on n’a pas toujours cru que ce fût bien sérieux. En réalité, il y a eu peut-être des momens où Garibaldi n’aurait pas voulu être aussi engagé, où il s’est presque laissé ébranler soit par les tiraillemens des comités insurrectionnels, soit par les conseils de