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Merrimac, voulant profiter de sa grande masse, chercha à couler son adversaire en l’abordant violemment par le travers ; le Monitor, très court, très agile, très prompt à la manœuvre, s’attachait au bâtiment confédéré, tournait autour de lui, échappait à ses coups avec une rapidité que la longueur excessive du Merrimac ne lui permettait pas d’égaler… » Nul doute qu’avec cette supériorité de manœuvre le Monitor n’eût réussi à couler son adversaire, s’il avait possédé une masse suffisante, et s’il avait été armé comme lui d’un éperon sous-marin. Après une vitesse supérieure, les qualités les plus essentielles que devra rechercher un capitaine pour son navire seront les qualités giratoires : rien ne saurait les suppléer. Les deux bâtimens engagés manœuvrant toujours de manière à présenter l’avant à l’ennemi, les deux navires s’élongeront le plus souvent bord à bord quand il voudront se choquer, se dépasseront et reviendront à la charge jusqu’à ce que l’un d’eux réussisse à prendre l’autre en défaut.

La question du combat se complique en proportion du nombre de bâtimens engagés. Beaucoup d’officiers pensent que l’art du commandant en chef consistera seulement à saisir une occasion favorable pour engager le combat ; ils paraissent convaincus qu’à partir du début de l’action il lui sera impossible de coordonner les mouvemens de ses vaisseaux : la mêlée s’établira par la force des choses, et les navires tourneront en tout sens les uns autour des autres, manœuvrant sans cesse pour éviter les éperons de l’ennemi et pour saisir l’occasion où ils pourront surprendre le flanc d’un adversaire pour le perforer ; tout bâtiment sera à son poste quand il se trouvera au plus fort de la mêlée. La force d’une escadre résiderait alors plutôt dans l’habileté de chacun de ses capitaines que dans celle de son amiral, comme dans un combat à l’arme blanche la valeur d’une troupe réside bien plus dans l’intrépidité des soldats que dans les qualités du chef. La furia francese, si vantée dans l’histoire de nos guerres de terre et de mer, nous a valu plus d’un triomphe, et pareille théorie plaît infiniment à notre caractère national ; mais prenons bien garde de nous laisser entraîner par notre fougue naturelle. Il a toujours été reconnu et il sera toujours vrai que la force d’une armée réside bien plus dans sa discipline, son unité d’action et le génie de son chef que dans les qualités individuelles des élémens qui la composent. De même la force d’une escadre résidera toujours surtout dans l’unité d’action et la cohésion de ses vaisseaux. Un amiral ne doit abandonner le soin de la victoire à l’intrépidité de ses capitaines et aux hasards de la mêlée qu’alors qu’il se sent inférieur à sa tâche, ou qu’il a déjà usé en pure perte tous les moyens d’action que le commandement a réunis dans sa main.