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avait réussi à cribler l’adversaire de coups, à démonter presque toutes ses pièces, ou à le mettre hors d’état de se servir de sa mâture pour se mouvoir. Encore arrivait-il assez souvent qu’un navire continuait à se défendre tant qu’il lui restait une pièce en état, et que le seul moyen de lui faire amener pavillon était de s’en emparer à l’abordage.

Avec les nouvelles escadres de béliers à vapeur, les règles du combat seront très différentes : en admettant même que l’artillerie devienne capable de produire sur les nouvelles murailles cuirassées un effet semblable à celui des anciens projectiles contre les vieux vaisseaux, elle ne pourra plus être comme jadis l’élément principal de la lutte. Lorsqu’on aura démonté toutes les pièces de son adversaire et qu’on lui aura tué la presque totalité de son équipage, on ne s’en sera pas pour cela rendu maître. On ne réussira pas à le couler par la puissance des projectiles, et en admettant qu’on parvienne à le frapper quelquefois à la flottaison, ce qui sera toujours fort difficile, on ne parviendra tout au plus qu’à retarder un peu sa marche, car il aura sans doute des cloisons étanches et des pompes assez puissantes pour étaler sa voie d’eau. On ne pourra profiter de la démoralisation et de la faiblesse de son équipage pour l’enlever d’assaut. En effet, s’il n’est pas assez imprévoyant pour rester sans vitesse, sa masse et la puissance de sa machine seront toujours suffisantes pour rompre toutes les amarres qu’un adversaire mal avisé voudrait jeter à son bord afin de le prendre à l’abordage. Placée au-dessous de la flottaison, sa machine sera généralement encore en parfait état, et le navire, criblé de coups, restera maître de sa manœuvre ; grâce à son éperon, il pourra donc encore espérer la victoire, s’il réussit à perforer le flanc de son adversaire.

Justement préoccupés de la nouvelle manière de combattre, quelques officiers proposent bien de placer à bord de nos navires des mortiers monstres pouvant tirer dans toutes les directions ; l’effet, suivant eux, en serait des plus redoutables pour un ennemi qui, en essayant de donner de l’éperon, se placerait forcément à une très courte distance. Ces mortiers auraient une inclinaison fixe, et ne seraient assujettis qu’à la condition de pouvoir lancer leurs projectiles à toutes les distances inférieures à 200 mètres, au moyen de charges variables. Dans un rayon aussi étroit, le tir pourrait être à peu près certain, la bombe arriverait presque sans vitesse sur le pont de l’ennemi et souvent pénétrerait dans l’intérieur du navire, car, lors même qu’on en viendrait à blinder les ponts, on sera toujours forcé d’y conserver de très larges ouvertures pour laisser entrer l’air indispensable à l’alimentation des feux. Qu’on juge alors de