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fédérale, frappée à mort, coula majestueusement, ensevelissant avec elle deux cents hommes d’équipage qui jusqu’au dernier instant servaient encore leur impuissante artillerie. Au combat de Mobile, l’amiral Farragut essaie la même manœuvre : il lance à toute vapeur contre le redoutable ram le Tenessee sa propre corvette et successivement ceux de ses autres navires dont il a fait armer l’avant d’un taille-mer en fer. Le Tenessee supporta ces assauts sans avarie extérieure ; Farragut allait tenter une charge combinée de tous ses vaisseaux pour écraser le ram entre des masses de 1,500 à 2,000 tonneaux se ruant sur lui, lorsque le chef confédéré se rendit. En toute circonstance, dans les engagemens qui ont eu lieu sur mer, les Américains ont essayé le choc par l’avant, et, s’ils n’en ont pas toujours obtenu un véritable succès, c’est que leurs navires n’avaient pas été construits à cette fin. Depuis, la bataille navale de Lissa nous a prouvé d’une manière péremptoire que l’abordage par l’ayant sera toujours la tendance d’un combat entre navires à vapeur : pendant le fort de l’action, les cuirassés autrichiens tournaient en tout sens autour de leurs ennemis, et les rapports italiens établissent que plusieurs de leurs bâtimens, le Palestro entre autres, ont été abordés jusqu’à trois et quatre fois. Un seul a pu l’être normalement et par le travers, et l’expérience du Ferdinand-Max sur les flancs du Re-d’Italia ne permet plus de mettre en doute qu’en abordant un navire dans ces conditions on est presque certain de le couler en ne s’exposant soi-même qu’à des avaries sans importance.

Au temps de l’ancienne marine à voiles, le canon était tout-puissant et les combats se résumaient le plus souvent dans un engagement d’artillerie. Lorsque deux escadres ennemies étaient en présence, le principe dominant de leurs manœuvres était toujours de chercher à réunir le plus grand nombre possible, de canons sur un même point ; l’art du chef consistait à conduire ses vaisseaux de façon à couper la ligne ennemie, à placer une partie de ses adversaires entre deux feux et à les écraser par la masse de ses projectiles avant que les autres eussent le temps de venir prendre part à la lutte. C’était la grande tactique de Nelson aux combats d’Aboutir et de Trafalgar. Une fois le combat engagé, chaque navire devait rester au poste qui lui était assigné, manœuvrant seulement de manière à présenter toujours son travers à l’ennemi qu’il était chargé de combattre : la puissance d’un vaisseau étant assez exactement représentée par le nombre de canons de ses batteries, il importait en effet de donner à cette artillerie toute son efficacité et d’éviter les coups d’enfilade, qui étaient les plus dangereux. Le combat, quand il était poussé à outrance, ne cessait que lorsqu’on