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bas-fonds le danger de ces engins explosifs, dans le combat naval du moins, et quand les escadres se disputeront l’empire de la haute mer, on restera longtemps encore sans préoccupation de ce côté.

Mais le canon, quelque puissance qu’il ait acquise, a déjà cessé d’être l’ultima ratio des batailles sur mer. La vapeur, qui, au point de vue spécialement maritime, a produit une évolution si considérable dans l’art des constructions navales, devait encore renverser à Son profit la vieille suprématie du canon dans les combats sur mer et ressusciter le rostrum des Romains et des Carthaginois. Les galères des anciens, qui recevaient exclusivement la vitesse de la force des rames, étaient toutes armées à l’avant d’un éperon d’acier ou d’airain destiné à percer le flanc des navires ennemis et à les couler. Les dimensions croissantes des galères, qui ne permirent plus de leur donner une vitesse suffisante par la seule force des rames, l’usage des voiles, qui subordonna les navires aux vents et à la mer, firent disparaître peu à peu ce mode de combat. Aujourd’hui que la vapeur nous a rendus maîtres des élémens et que nos vaisseaux peuvent marcher à notre gré dans toutes les directions comme les galères des anciens, mais avec une rapidité et une précision bien supérieures, les éperons doivent forcément retrouver toute leur puissance. Dès l’année 1840, le vice-amiral Labrousse, alors lieutenant de vaisseau, avait prévu cette nouvelle conséquence de la marine à vapeur, et, dans un travail fort important qui fut remis au ministre de la marine, il proposait un plan pour la construction d’un vaisseau à vapeur à éperon. En 1844, des expériences fort concluantes furent faites à ce sujet au port de Lorient ; mais ce n’est que vingt ans plus tard que les idées de M. Labrousse devaient entrer dans le domaine public. Aujourd’hui il paraît admis en principe que nos futurs vaisseaux cuirassés doivent tous être armés d’un éperon. L’abordage à l’éperon sera désormais pour les marins le plus puissant moyen d’attaque. Cette opinion ne rencontre plus de contradicteurs, et c’est là le point saillant des tendances maritimes de notre époque.

Ce nouveau mode de combat a fait sa première apparition dans la guerre d’Amérique, lorsque le Merrimac des confédérés créa de si grands embarras à l’armée des États-Unis devant Fort-Monroë. Le 8 mars 1862, le Merrimac, se dirigeant à l’entrée de James-River vers les deux frégates à voiles de la marine fédérale le Cumberland et le Congress, dont les boulets ricochent sur sa cuirasse, vient avec une vitesse de quatre à cinq nœuds seulement plonger son éperon dans le flanc du Cumberland. Après ce choc, qui fut très doux et qu’on ressentit à peine à bord du Merrimac, la frégate