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chez lui les deux Bretons indiscrets, leur ordonne de se retirer de l’assemblée et les fait à l’instant monter dans son carrosse avec un officier suivi de six de ses gardes. « Cette action a été soutenue de toute l’autorité que le roi m’a commise, et la journée d’hier se passa en trois députations pour le retour de ces gentilshommes[1]. Nous nous servîmes de ces députations pour faire craindre aux états que, s’ils ne délibéraient promptement sur le don du roi et sans aucune condition, nous nous en désisterions, pour ce que la gloire du roi souffrirait trop de mendier un don plus glorieux à faire qu’utile à recevoir. Et après nous être expliqués sur l’obéissance aveugle que l’on devait avoir à toutes les volontés de sa majesté, les états nous ont député ce matin pour la supplier de vouloir accepter les 2,600,000 livres que nous avons eu ordre de demander. Nous recevrons seulement demain les mémoires que les états nous envoieront contre les édits, et vous jugerez de ce qu’ils souffrent par les offres qu’ils feront pour en être soulagés[2]. »

Ces deux lignes résument la situation tout entière : plus les états souffrent, plus ils sont disposés à payer. C’est d’ailleurs une justice à rendre à l’esprit droit et naturellement modéré du duc de Chaulnes, que personne ne connaissait mieux ce que les réclamation, de la Bretagne présentaient de légitime, et n’aurait plus sincèrement désiré concourir à soulager les souffrances publiques. Sa correspondance contient sur ce point-là les indications les moins équivoques ; mais, serviteur soumis d’un pouvoir enivré, le gouverneur ose à peine hasarder un conseil, de crainte qu’on n’y entrevoie un reproche, et lorsqu’éclatent les malheurs qu’il aurait voulu prévenir, quand l’incendie dévore la Bretagne, il l’éteint sans pitié dans le sang, cachant à la royauté, pour ne pas troubler sa quiétude, les périls qu’il court lui-même et les barbares extrémités auxquelles ces périls le conduisent.

De 1667 à 1675, la Bretagne souffrit de grands maux et se trouva sous le coup des plus douloureuses anxiétés. Tous ces maux provenaient de la même source : les besoins d’un pouvoir sans limites et, il faut bien ajouter, sans entrailles. Entre ces fléaux, les uns

  1. Voici ce que contient sur ce point le registre des états : « L’assemblée ayant été avertie que M. le duc de Chaulnes a fait éloigner ce matin MM. de Saint-Aubin, Freslon et Duclos, a député six de chaque ordre pour lui demander leur rappel, à quoi il a répondu qu’il ne pouvait et qu’il n’avait fait qu’exécuter les ordres de sa majesté. Les mêmes députés ont été renvoyés vers lui à la même fin, et sur ce qu’ils ont rapporté que leur voyage avait été inutile, MM. les présidens des ordres ont été priés de se joindre auxdits députés, et sur ce qu’on a su que Mme la princesse de Tarente avait eu la bonté de s’entremettre auprès de M. le duc de Chaulnes pour cette affaire, on lui a envoyé rendre grâce par douze députés. »
  2. Le duc de Chaulnes à Colbert, 13 décembre 1673.