Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/687

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Chaulnes, possédant « sous la corpulence, l’épaisseur, la physionomie d’un bœuf, l’esprit le plus délié, le plus souple, le plus adroit à prendre et à pousser ses avantages, joint à une grande capacité et à une continuelle expérience de toute sorte d’affaires. » Chacun aussi connaît Mme de Chaulnes, « pour la figure un soldat aux gardes, et même un peu Suisse, mais beaucoup de dignité, beaucoup d’amis, une politesse choisie, un sens et un désir d’obliger qui lui tenaient lieu d’esprit[1]. » Tels sont les deux personnages placés au premier plan du tableau au fond duquel se montrent les états de Bretagne dans leur confusion pittoresque. La postérité connaît ceux-ci par la chronique quotidienne que Mme de Sévigné adresse en Provence à sa fille « pour sa peine d’être Bretonne. »

Les états ont leur part collective dans l’immortalité départie à Mlle de Kerborgne, de Kerlouche, de Kercado et de Crapado, sans oublier le gentilhomme râpé des environs de Landerneau que Mme de Sévigné prit si malencontreusement pour un domestique de M. de Chaulnes, et qui se trouva n’avoir pas moins d’esprit que la marquise. Il n’est pas de procès-verbal plus fidèle d’une tenue à l’époque de relâchement politique où nous sommes arrivés que celui de l’assemblée de Vitré. « On mange à deux tables dans le même lieu : M. de Chaulnes en tient une madame l’autre. La bonne chère est excessive, on remporte les plats de rôtis tout entiers, et pour les pyramides de fruits il faut faire hausser les portes. Après le dîner, MM. de Locmaria et de Coëtlogon dansent avec deux Bretonnes des passe-pieds merveilleux, et à la suite de ce petit bal on voit entrer ceux qui arrivent en foule pour ouvrir les états. Le lendemain M. le premier président, MM. les procureurs et avocats-généraux du parlement, neuf évêques, cinquante Bas-Bretons dorés jusqu’aux yeux, cent communautés, c’est un jeu, une chère, une liberté jour et nuit qui attire tout le monde. Il n’y a pas une province rassemblée qui ait un aussi grand air que celle-ci.

« Les états ne sont pas longs, il n’y a qu’à demander ce que veut le roi ; on ne dit pas un mot, voilà qui est fait. Pour le gouverneur, il y trouve je ne sais pas comment plus de 40,000 écus qui lui reviennent, une infinité de présens et des pensions….. Quinze ou vingt grandes tables, un jeu continuel, des bals éternels, des comédies trois fois la semaine, une grande braverie, voilà les états. J’oublie trois ou quatre cents pipes de vin qu’on y boit ; mais,

  1. Mémoires de Saint-Simon, t. Ier et IV.