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valoir contre le saint-siège, non ; mais la guerre était finie et glorieusement finie en Allemagne. Il avait battu tous ses ennemis, il n’y avait plus une seule puissance qui lui résistât sur tout le continent ; excepté le roi constitutionnel de la Grande-Bretagne, pas un souverain grand ou petit qui ne fût à ses pieds. Schismatiques, protestans ou catholiques, tous se disputaient à l’envi l’honneur de ses bonnes grâces. Aucun d’eux n’était à craindre, il n’avait plus personne à ménager. Le moment était donc venu, comme il le mandait tout à l’heure au prince Eugène, de faire repentir Rome de sa mauvaise conduite. Des écrivains ecclésiastiques ont raconté que, dans les entrevues intimes qui suivirent la paix de Tilsitt, l’empereur Alexandre aurait dit une fois à Napoléon : « Vous avez des difficultés en France avec le saint-siège à cause des choses de la religion ; chez moi, en Russie, je suis à la fois empereur et pape, c’est bien plus commode ; » ces paroles, ajoutent-ils, auraient vivement frappé l’empereur. L’anecdote est-elle très authentique ? Nous ne savons ; il est certain toutefois qu’à partir de cette époque les idées de Napoléon sur les rapports de l’église et de l’état revêtirent une forme encore plus tranchée et plus impérieuse. Au milieu du petit cercle de personnes admises à l’honneur de son intimité, et comme pour essayer l’effet qu’elles produiraient au dehors, on l’entendit développer pour la première fois à Dresde même les thèses étranges qui se sont depuis étalées avec tant de complaisance dans les pages dictées à M. de Las Cases pendant la captivité de Sainte-Hélène. Elles fermentaient tellement dans la tête de l’empereur qu’il ne put attendre d’être arrivé à Paris pour leur donner cours. Ce fut pendant son séjour à la petite cour du roi de Saxe que firent pour la première fois explosion sur ce sujet les vapeurs de son incommensurable orgueil. La prospérité excessive est d’ordinaire une assez mauvaise conseillère des princes ; plus fatale à Napoléon qu’à personne, elle lui dicta à Dresde une très singulière démarche, et la moins propre, nous le croyons, à lui faire honneur auprès de la postérité. Il avait résolu d’agir plus fortement que jamais sur l’esprit du saint-père, toujours considéré par lui, malgré les épreuves déjà inutilement tentées, comme un faible vieillard capable de se laisser intimider ; mais pour y réussir il fallait qu’il s’y employât directement lui-même. Or il avait maintes fois répété qu’il ne lui écrirait plus. Renouer le premier la correspondance, c’était faire acte de condescendance quand il importait de se montrer plus irrité que jamais. Voici le biais que Napoléon imagina. Il écrivit de Dresde, le 22 juillet, au prince Eugène une lettre de quelques lignes seulement qui en contenait deux autres : 1° une lettre que le prince Eugène devait adresser comme de lui-même, en son propre et privé nom, au saint-père ; 2° une lettre que l’empereur