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d’autres, un immense désavantage résultait pour le saint-père de la confusion impossible à démêler des deux pouvoirs confondus entre ses mains. Le prince temporel indignement traité, ouvertement menacé dans son existence de souverain, avait autant à se plaindre de Napoléon que le chef d’église, envers lequel l’empereur se refusait à tenir des engagemens solennels publiquement contractés. A coup sûr, soit comme souverain, soit comme chef de l’église, Pie VII avait qualité pour défendre ses droits méconnus ; mais quand le pontife saisissait ses armes spirituelles pour porter à son adversaire des coups dangereux que celui-ci ne pouvait point ne pas ressentir profondément, comment prouver à Napoléon, et comment établir devant l’opinion publique attentive qu’il ne s’agissait pas, avant tout, de venger le tort causé aux intérêts du prince temporel ? Le pape, en refusant les bulles aux évêques d’Italie nommés par l’empereur, avait cru se donner quelque force. Il n’avait fait au contraire qu’ajouter à sa faiblesse. Il semble qu’en apprenant la décision prise par le saint-père Napoléon en ait tout aussitôt éprouvé une sorte de mauvaise joie, découvrant bien vite avec sa sagacité ordinaire quel parti il en pourrait tirer contre lui. Son premier mouvement fut d’écrire directement au saint-père à Rome pour jeter feu et flamme. « Je vous envoie, écrit-il le 3 avril 1807 au prince Eugène, une lettre pour le saint-père que vous ferez passer à Rome. Après cela, s’il ne revient pas, il n’en faut plus parler. En temps et lieu, je ferai repentir la cour de Rome de sa mauvaise conduite ; mais ce n’est pas le moment. » Puis tout à coup il se ravise. Il garde sa lettre, n’ayant pas encore, paraît-il, suffisamment battu les Russes, et il met un post-scriptum à sa lettre : « Toute réflexion faite, je n’écrirai pas au pape. Je ne veux pas me jeter dans les tracasseries avec ces nigauds. Le plus sûr est de s’en passer[1]. »

Quelques jours plus tard, il revient de nouveau dans sa correspondance avec le prince Eugène sur cette affaire des bulles des évêques d’Italie. Il ne veut point encore écrire à sa sainteté, mais il est bien aise que le prince Eugène lui écrive. « Vous direz qu’il m’a été rendu compte de ce qui s’est passé, et que vous savez que j’ai dit : Le pape ne veut donc plus que j’aie d’évêques en Italie ! A la bonne heure ! Si c’est là servir la religion, comment doivent donc faire ceux qui veulent la détruire ? Vous ajouterez que l’intérêt particulier que vous portez au pape vous fait désirer qu’il ne me donne point ce sujet de mécontentement, que, par l’insinuation secrète de quelques malveillans, on n’oublie aucune occasion de me mécontenter, que j’avais de l’estime pour le pape, que tout cela

  1. Lettre de l’empereur au prince. Eugène, Finkenstein, 3 avril 1807. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XV, p. 17.