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partagea lui-même un instant, lorsque pendant quelques jours il crut tenir à sa merci les souverains de la Prusse et de la Russie. La paix allait se traiter prochainement, il en dicterait les conditions en maître. C’était donc le moment de songer de nouveau aux affaires de Rome et de signifier au saint-père à quelle condition il consentirait à le laisser jouir encore en paix des débris de sa puissance temporelle. L’invitation adressée à Mgr Arezzo de se rendre à Berlin n’avait pas d’autre but que de tenter par son intermédiaire un nouvel effort pour triompher de la résistance du saint-père.

Porter avec générosité le poids dangereux des grands succès sera toujours l’un des plus sûrs indices de l’élévation de l’âme ; mais la joie du triomphe, qui d’ordinaire inspire aux nobles natures leurs meilleures résolutions, ne suggérait à Napoléon d’autre désir, que de pousser jusqu’au bout tous ses avantages. Tout le monde sait avec quelle froideur plus qu’inexorable il accueillit à Tilsitt la reine de Prusse, quand elle vint plaider devant lui la cause de son mari vaincu et de son pays démembré. L’inflexibilité du vainqueur d’Iéna, la rudesse de ses réponses, son attitude hautaine envers une princesse jeune belle et si digne de pitié, sont toujours restées gravées comme autant de souvenirs ineffaçables dans la mémoire des Allemands. Ils ne les avaient point oubliés en 1814 et 1815, et mettaient encore au nombre de leurs griefs nationaux la façon ( dont avait été traitée en 1807 la malheureuse reine de Prusse. Un accueil assez semblable attendait Mgr Arezzo à Berlin. Il ne faut pas s’en étonner, car c’est bien la même absence d’une certaine délicatesse morale qui empêche ceux auxquels elle fait défaut de savoir comment se comporter soit avec les prêtres soit avec les femmes. Le pape n’avait point été vaincu à Iéna, Mgr Arezzo n’avait personnellement aucune grâce à demander à l’empereur ; mais l’empereur, anticipant un peu sur l’avenir, se croyait déjà maître à ce moment de tout faire sur le continent, comme il le fut en effet quelques mois plus tard après la victoire de Friedland. C’était cette conviction intime et d’ailleurs parfaitement fondée de sa puissance qui lui dicta le langage tenu à Berlin à Mgr Arezzo. Les conversations familières et textuellement rendues de l’empereur sont assez rares pour que nous croyions devoir reproduire la relation qu’on va lire, et que l’évêque de Séleucie, nonce à Dresde, mit aussitôt par écrit pour la faire parvenir au saint-siège, et dans les papiers duquel elle a été retrouvée plus tard lors de son arrestation au Quirinal.

Lorsque Mgr Arezzo fut introduit auprès de l’empereur le 12 novembre à midi, il le trouva seul dans le cabinet qui avait été, comme nous l’avons déjà dit, celui du grand Frédéric. Napoléon, en uniforme de général de la garde nationale, portait comme unique