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Civita-Vecchia. Qui sait ? un peu de bonheur seulement ; après un second Austerlitz peut-être pourrait-on prendre aisément au saint-père tout le reste de sa souveraineté.

Telle était en effet l’étrange condition de Pie VII, que tous les triomphes du grand homme sacré de ses mains, et que, malgré ses injustices, il continuait à préférer à tous les autres souverains de l’Europe, étaient destinés à lui devenir constamment funestes. Chaque victoire éclatante remportée par Napoléon sur ses ennemis du continent se trouvait par la force des choses à l’instant même retournée contre le pieux pontife, toujours réduit à se plaindre de son héros, mais ne pouvant en même temps prendre son parti de ne le point admirer. On se souvient du violent orage tombé à l’improviste sur la tête de Pie VII dans les premiers jours de 1806. À peine Napoléon avait-il réussi à battre et les Russes et les Autrichiens, qu’il avait adressé à Rome cette impérieuse lettre datée de Munich, cause première de la querelle maintenant pendante avec le saint-siège. La ruine de la monarchie prussienne, suivie de la seconde défaite des Russes, ne devait pas être moins fatale au saint-père, et, plus encore que la paix de Presbourg, la paix de Tilsitt allait avoir pour lui un terrible lendemain ; mais, on le sait, la campagne de 1806-1807 fut longue et assez pénible. Après avoir brillamment débuté au mois d’octobre 1806 par l’étourdissant triomphe d’Iéna, elle s’était prolongée sans beaucoup de succès durant les mois de novembre et de décembre dans les plaines embourbées de la Pologne. Après la bataille douteuse d’Eylau, l’empereur avait dû prendre son parti de faire hiverner son armée au milieu même de nos ennemis, plus étonnés qu’abattus par la hardiesse de nos manœuvres et la bravoure de nos soldats. Il s’était même décidé à ne pas retourner dans sa capitale, attendant patiemment à Finkenstein et à Dresde l’occasion de prendre sa revanche contre les Russes et de faire sentir au trop confiant Alexandre la lourdeur du bras qui venait de s’appesantir sur son malheureux allié le roi de Prusse. Est-il besoin de dire que, pendant toute cette période d’activité militaire, Napoléon sembla oublier un peu, au milieu des camps, les affaires de Rome ? Cependant sa pensée n’en fut jamais tout à fait distraite. Ainsi que nous venons de l’expliquer, sa résolution était arrêtée de tout suspendre en Italie pendant qu’il était si fortement occupé en Allemagne, et de ne reprendre sa querelle avec le pape qu’après qu’il aurait terminé celle qu’il s’était faite avec la Prusse et la Russie. Depuis le jour où à Saint-Cloud il avait si brusquement tourné le dos au pauvre Caprara, on eût dit qu’il avait du même coup, avec le même ennui et la même impatience, détourné son esprit des projets naguère formés à l’égard du Vatican. L’empereur, qui