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progressif, indéfini, permanent, contre une nation quelconque, que nous ne pouvons accéder au système fédératif de l’empire français, que nos domaines transmis à nous, indépendans de toute fédération, doivent demeurer tels par la nature de notre ministère apostolique, et si l’on attaquait cette indépendance, si l’on exécutait les menaces qu’on nous adresse sans aucun égard pour notre dignité et pour l’amitié qui nous lie à sa majesté, alors nous y verrions le signal d’une persécution ouverte, et nous en appellerions au jugement de Dieu. Notre parti est irrévocable ; rien ne peut le changer, ni les menaces, ni l’exécution de ces menaces…

«… Tels sont nos sentimens que vous pouvez regarder comme notre testament, et nous sommes prêt, s’il le faut, à le signer de notre sang, nous fortifiant, si la persécution se déchaîne, par ces paroles de notre divin maître : « heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice. » Faites connaître ces sentimens dans toute leur étendue à sa majesté ; nous vous l’ordonnons expressément. Il est temps désormais de sortir de cet océan de peines et d’angoisses qui nous font chaque jour demander au ciel d’abréger cette fin si triste et si amère de nos jours. Cependant dites bien aussi à l’empereur que nous l’aimons encore, que nous sommes disposé à lui en donner toutes les preuves qui nous sont possibles, et à continuer de nous montrer son meilleur ami ; mais qu’on ne nous demande pas ce que nous ne pouvons pas faire[1]


On ne saurait douter, en lisant cette lettre, qu’adressée nominalement par le saint-père à son représentant à Paris, elle n’ait été en réalité conçue et rédigée pour être mise sous les yeux de l’empereur lui-même ; mais depuis le jour où, par suite d’une feinte susceptibilité, il s’était plaint si amèrement de ce que Pie VII avait abusé de sa confiance en faisant part de sa correspondance aux membres du sacré-collége, Napoléon avait systématiquement cessé d’écrire au pape. Pie VII s’était cru obligé d’observer de son côté la même réserve, et toute communication directe avait été ainsi interrompue entre eux. Caprara avait donc ordre de demander une audience pour donner connaissance de la réponse du pape. Cette audience, il l’attendit en vain ; elle ne lui fut point accordée. Après quelques hésitations, le légat fit remettre à Napoléon par M. de Talleyrand copie de la lettre de Pie VII. Un certain temps se passa encore. Il semblait que l’empereur et son ministre ne voulaient plus entendre parler des affaires de Rome ni de son représentant à Paris. Enfin un jour à Saint-Cloud, saisissant un instant propice, Caprara essaya de s’approcher de l’empereur ; mais Napoléon lui tourna le dos. Peu de jours après, le cardinal hasardait une seconde

  1. Lettre de Pie VII au cardinal Caprara, 31 juillet 1806.