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ajourné à la session prochaine. On le réservait pour des circonstances plus graves, tant le président paraissait cette fois réduit à l’impuissance de nuire.


VI

Il n’en était rien cependant. A peine le congrès avait-il, quitté la villes que l’incorrigible M. Johnson s’ingéniait sans relâche à découvrir des moyens nouveaux d’éluder ou de violer la loi. Il se sentait encouragé par un dissentiment qui avait éclaté à la dernière heure entre le sénat et la chambre des représentans. La chambre avait souhaité que le congrès se réunît avant novembre afin de mieux surveiller le président ; le sénat avait jugé cette précaution superflue. La chambre voulait interdire au président la destitution des généraux, le sénat n’y avait point consenti. Cela suffisait pour que son esprit aventureux formât aussitôt le dessein de destituer les généraux en l’absence des chambres et de les remplacer par des hommes de son choix.

Les modérés abandonnaient ses conseils. Il aimait maintenant à s’entourer des plus fougueux sécessionistes, dont la haine plaisait à la sienne et entrait dans ses projets de vengeance. Son cabinet était composé d’hommes flexibles, dont les uns partageaient sincèrement ses opinions, dont les autres ne tenaient qu’à garder leurs places, dont quelques-uns enfin nourrissaient secrètement des ambitions personnelles, et voyaient sans chagrin le président courir à sa ruine. Seul, le ministre de la guerre, Stanton, dont les tendances radicales étaient connues, avait résisté de toutes ses forces à la fausse interprétation du bill militaire, et refusait maintenant sa signature à la destitution des généraux. Désespérant de le gagner à sa cause, le président résolut de l’écarter de son chemin. Il lui écrivit un petit billet bref et froid, d’un laconisme tout impérial, pour lui annoncer qu’à partir de ce jour il ne faisait plus partie du cabinet ; en même temps il avertissait le général Grant qu’une ordonnance datée du même jour l’appelait à remplir provisoirement les fonctions restées vacantes.

Ce choix disait à lui seul toute la faiblesse du président. On croira sans peine qu’en se déterminant à épurer son cabinet pour y rester le maître, Andrew Johnson aurait préféré donner le ministère à un homme d’opinions plus conformes aux siennes et d’une moins grande importance personnelle ; mais, pour se faire pardonner son petit coup d’état, il devait faire un choix de nature à plaire au pays. Il fallait que la popularité du nouveau ministre imposât silence aux radicaux. Or le général Grant attirait depuis longtemps les regards de tous les partis. Sa simplicité, son patriotisme, sa grande