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ruine et des tiraillemens de cette double politique qui les aveuglait sur leur position. Ils pourraient fixer leurs désirs et régler leur conduite sur leur condition véritable, non sur des espérances chimériques qui les poussaient à une résistance funeste. Ils savaient à présent qu’il fallait effacer jusqu’aux moindres traces de l’esclavage et que le retour à l’Union n’était possible qu’à ce prix ; ils savaient que le dernier de leurs esclaves pourrait voter contre eux dans les élections, témoigner contre eux devant la justice ou siéger dans le jury chargé de les juger, avant qu’un seul de leurs députés pût aller s’asseoir au Capitole. Il fallait voir cette vérité en face et s’y résigner sagement, pour apprendre à tirer parti des choses nouvelles. Peut-être l’avenir était-il moins effrayant qu’on ne l’avait pensé, peut-être les souvenirs de l’esclavage leur prêteraient-ils encore de l’influence ; peut-être conserveraient-ils plus d’autorité sur la nouvelle classe électorale que les missionnaires radicaux envoyés du nord pour la soulever. Les hommes du nord, disaient-ils, ne connaissent pas la race nègre, ils ne sauront jamais s’en faire obéir aussi bien que ses anciens maîtres. Le nègre enfin est un homme du sud ; ses intérêts sont les mêmes que ceux des hommes blancs. Les abolitionistes pouvaient profiter maintenant de son ignorance, mais il s’en vengerait un jour en se tournant contre eux.

Ils comptaient d’ailleurs sur la protection puissante du président. La clause qui lui conférait le choix des cinq gouverneurs du sud leur faisait espérer qu’il aurait la haute main dans leurs affaires, que la rigueur du pouvoir militaire s’en trouverait singulièrement adoucie. Ils allaient pouvoir réparer leurs fortunes à l’abri d’une administration régulière et bienveillante, qui n’emprunterait les formes du pouvoir absolu que pour mieux les défendre contre les fantaisies du congrès. La loi elle-même serait interprétée dans le sens le plus large et de manière à admettre sur les listes électorales le plus grand nombre possible de citoyens blancs. Telles étaient, à n’en pas douter, les intentions et les espérances du président en recevant des mains du congrès le dépôt de la loi nouvelle ; mais il fallait prévoir que les radicaux ne perdraient pas de vue leur œuvre, qu’ils exerceraient sévèrement dans le sénat leur contrôle accoutumé sur les nominations présidentielles, et que ce partage de l’autorité, dont s’applaudissaient les démocrates, serait pour les deux partis une cause de dissensions nouvelles, et pour le congrès un facile prétexte d’ajouter de nouvelles rigueurs à ses édits.


IV

Le 3 mars au matin, le congrès se sépara après une séance laborieuse qui l’avait occupé toute la nuit. Le 4 mars, son héritier,