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contre les rebelles dans les provinces où ils dominaient. La jurisprudence généralement admise était de ne regarder le meurtre comme un crime que s’il était accompagné de vol. Il n’y avait que le gouvernement militaire qui pût réprimer tous ces excès, non pas ce pouvoir militaire irrégulier qu’on avait employé jusqu’alors, partageant ses attributions avec le pouvoir civil, obligé de les lui disputer tous les jours et d’entretenir la discorde en se mettant à la tête d’une faction, mais un pouvoir unique, absolu, dominant tous les partis par une justice impartiale. Les républicains modérés se réconciliaient avec cette idée. Ils voulaient seulement introduire dans le projet des radicaux quelques promesses amicales et quelques espérances consolantes pour encourager les états du sud à supporter avec patience un régime aussi rigoureux. M. Blaine, par exemple, proposa un amendement pour leur faire espérer leur rentrée dans le congrès, s’ils admettaient eux-mêmes l’amendement de la constitution et l’établissement du suffrage universel. Les chefs du parti radical le repoussèrent avec hauteur, et M. Garfield déclara que le bill était « dicté par Dieu même, » que c’était « le nec plus ultra de la reconstruction, » qu’il était écrit « avec une plume d’acier faite d’une baïonnette, » et qu’il fallait placer le peuple des états du sud « derrière un cordon de baïonnettes. » En vain M. Raymond, M. Schenck, rappellent au congrès les termes offerts et promis l’année dernière ; vingt membres sont debout, criant qu’ils n’ont jamais rien promis. Enfin M. Stevens se lève pour demander la question préalable. Malade, affaibli par l’âge, exténué par les fatigues d’une vie dévorante, ce vieillard extraordinaire avait quitté son lit pour se traîner jusqu’à la chambre et reprendre sur le champ de bataille son poste accoutumé. À peine a-t-il paru qu’il se fait un profond silence ; ses partisans l’entourent, on fait cercle auprès de lui pour l’écouter. Il est découragé, il ne compte plus sur la victoire ; sa voix est faible, mais son regard toujours ferme et son geste assuré. Peu à peu il se ranime, ses yeux brillent, sa voix s’élève, et il retrouve toute l’énergie de sa mâle et sombre éloquence pour faire un appel suprême à la fidélité de son parti. « Monsieur, dit-il (en s’adressant, suivant l’usage, au président de la chambre), si j’osais invoquer les droits de mon grand âge, — sans prétendre assurément à la sagesse de Nestor, — je rappellerais aux jeunes gens groupés autour de moi que les événemens de cette crise brûlante, de cette journée solennelle, de cette heure pleine de trouble, projetteront leur ombre bien loin dans l’avenir, qu’ils laisseront une empreinte profonde dans les annales de notre histoire, et que nous ne paraîtrons sur les pages brillantes de cette histoire qu’autant que nous aurons cordialement, loyalement, fidèlement prêté le secours de nos forces à la grande cause