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la lui refuser plus longtemps est de l’enivrer de gloire militaire. Les Allemands sont donc poursuivis de la crainte, combattue si à propos par l’empereur Napoléon dans un de ses récens discours, que le gouvernement français ne soit obligé « de chercher à l’extérieur une diversion aux embarras intérieurs. » C’est pourquoi ils ne refusent rien à leur chancelier fédéral, et se précipitent sous l’hégémonie prussienne avec une impatience fébrile que M. de Bismarck peut à peine réprimer ; mais le jour où la France aurait reconquis le régime dent elle est digne, la situation changerait complètement en Allemagne. C’en serait fait des chimères du droit divin borussianiste. Devant les élémens libéraux que le sud enverrait au parlement, le gouvernement personnel devrait céder, ou il périrait. Il périrait, parce que, du moment qu’il serait démontré que la monarchie allemande est incompatible avec la liberté, les idées républicaines, qui ont de fortes racines dans le génie individualiste de la nation, y feraient de nombreux prosélytes. Comme le fait remarquer l’évêque de Mayence dans l’ouvrage que nous citions tantôt, le roi de Prusse, en détrônant des souverains comme on renvoie des préfets, a fortement ébranlé le principe monarchique. Quand un prince s’annexe brusquement de nouveaux états, il ne peut s’y soutenir que par la popularité, les appuis naturels que créent d’antiques relations avec le peuple lui faisant défaut. Les Hohenzollern ont chez eux une assiette solide : ils ont créé la Prusse, ils l’ont presque constamment bien gouvernée, ils sont identifiés avec ses jours de gloire et de revers ; les souvenirs historiques relient intimement le peuple et la dynastie. Il n’en est pas de même dans les pays annexés ou confédérés : ils n’y apparaîtront longtemps encore que comme une nécessité qu’on subit ou comme une sauve-garde qu’on invoque. Quand l’Allemagne se sera unifiée tout entière, ils ne se maintiendront à sa tête qu’en gouvernant conformément au vœu national. L’adjonction du sud serait donc très probablement une garantie pour la liberté et une sûre barrière contre le retour du despotisme.

Qu’on le remarque bien, ce n’est point par la guerre qu’on parviendrait à s’opposer à l’achèvement de l’unité allemande. Jadis on pouvait arrêter les armes à la main un souverain qui prétendait agrandir ses états par la conquête. Vaincu, il se lassait, et son fils tournait ailleurs ses visées ; à un ministre intelligent succédait un ministre incapable. C’est ainsi que s’est conservé jusqu’à notre époque l’équilibre européen. Depuis que le sentiment national s’est éveillé, la situation est toute différente : nulle force humaine ne peut en venir à bout. Il s’enflamme par les défaites et s’irrite par les obstacles. Il passe des pères aux enfans, et pour l’étouffer il faut anéantir