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l’appel des voix par oui et par non, ce qui prenait au moins dix minutes. Ce manège dura jusqu’au soir, et trente-deux démocrates, tinrent tête pendant trois heures à cent neuf républicains. Vers le soir, les républicains renchérirent encore sur les démocrates ; ils demandèrent à chaque motion le vote par défilé, plus long et plus fatigant que l’appel nominal. On vota ainsi plus de soixante fois ; les démocrates tenaient ferme, et n’annonçaient encore aucune faiblesse. Alors les républicains, qui avaient pour eux l’avantage du nombre, se décidèrent à passer la nuit. Ils se relayèrent pour aller dîner, tandis que leurs adversaires restaient cloués sur leurs sièges ou ne faisaient que de courtes promenades à la maigre cantine du Capitole. Vers minuit, la moitié des républicains avaient déserté ; la chambre n’était plus en nombre, et le vote allait être ajourné par force majeure. Le président s’alarma ; les sergens et les huissiers allèrent poursuivre jusque chez eux les républicains défectionnaires. On les arracha de leurs lits et on les ramena prisonniers au Capitole, où leurs collègues leur firent subir un jugement burlesque. Quelques-uns des coupables essayèrent d’alléguer des excuses et d’obtenir leur congé ; on le leur refusa sans pitié. Les portes furent closes, et les votes recommencèrent au milieu des rires, des chansons, des lazzis échangés d’un parti à l’autre. Rien de plus étrange que l’aspect de la chambre pendant cette nuit de carnaval : on buvait, on fumait, on s’asseyait sur les tables ; des marchands de comestibles avaient ouvert boutique à l’entrée de la salle ; le temple des lois semblait changé en un grand cabaret. Le jour parut et trouva les deux armées à leur poste, serrées encore autour de leurs chefs, mais harassées toutes les deux de sommeil et de fatigue. Leur bonne humeur n’était pas altérée, et nulle altercation malséante n’avait troublé la sérénité de ce défi joyeux. Les partis ont en Amérique une habitude de camaraderie qui sert de contre-poids à leur brutalité démocratique, et donne souvent à leurs rencontres l’air d’un jeu de mains un peu rude, mais au demeurant très inoffensif. A huit heures du matin, M. Boutwell lui-même avoua sa fatigue et donna le signal de la déroute. La chambre se sépara d’un commun accord, en promettant aux démocrates l’heure de discussion qu’ils avaient demandée ; à onze heures, elle se réunit de nouveau pour les entendre, et à midi ce bill d’un enfantement si pénible fut voté sans protestation.

Ce curieux épisode prouvait la puissance du parti républicain dans le congrès ; mais il montrait en même temps la fermeté des démocrates et leur force encore suffisante pour retarder au moins les lois qu’ils ne pouvaient plus empêcher. On touchait au mois de février, et la session tirait déjà vers sa fin ; le congrès allait expirer sans avoir pris aucune mesure décisive. L’amendement