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persécutée, tenue par les païens comme la balayure du monde, selon l’expression de l’apôtre Paul, avait succédé la grande assemblée des peuples, l’église reine et dominatrice des rois et des empereurs. Le culte simple en esprit et en vérité, expression exacte du sentiment individuel, avait adopté les splendeurs de celui dont il avait pris la place et les temples, et dans la basilique païenne transformée en cathédrale catholique bien des dieux aimés de la Grèce et de Rome étaient restés debout sous des noms et des ornemens nouveaux, poétiques images du passé souriant encore à la foule des nouveaux adorateurs. Un clergé riche, libre des soucis et des devoirs de la famille et du travail, avait pris la place du pauvre ministère évangélique d’autrefois. On connaît ce qu’était un évêque dans l’église primitive par l’énumération que fait saint Paul des qualités morales indispensables pour cette fonction (I, Tim., III) : sobre, modéré, éloigné des querelles, exempt d’avarice, ni adonné au vin, ni violent, ni porté au gain déshonnête, mari d’une seule femme, gouvernant bien sa famille, et tenant ses enfans dans la soumission. Quel contraste avec ces évêques du moyen âge que l’histoire nous représente maniant l’épée et la crosse avec une égale dextérité, seigneurs temporels, batailleurs et violens, faisant large chère et menant la vie des hauts barons ! Quand la population alpestre, demeurée dans les coutumes et les enseignemens du passé, se trouva en face d’une église ainsi transformée, elle n’y reconnut plus sa foi et son culte, et résista dès lors à l’assimilation avec la fermeté de l’esprit sectaire et l’entêtement des races de montagnes.

Il s’en faut pourtant que la séparation ait été radicale dès le commencement, et, quand les docteurs de la réforme disent que les Vaudois ont formé ouvertement une organisation ecclésiastique de tout temps séparée de celle de Rome, cette opinion ne se soutient que par des hypothèses plus ou moins ingénieuses et des légendes sans valeur historique. La vie religieuse des Vaudois a présenté jusqu’au XVIe siècle deux faces, l’une orthodoxe et l’autre hétérodoxe. Ils montrent la première pour éloigner de leurs vallées les violences de l’inquisition, et la seconde quand le danger est passé. Publiquement ils ne refusent pas d’assister aux cérémonies de l’église officielle ; mais en secret ils ont leurs assemblées, leurs mystères, leurs rites. Sans rompre ouvertement avec le sacerdoce dominant, ils ont un ordre ecclésiastique à eux, des ministres moitié prêtres moitié laïques, travaillant pour vivre comme le reste de la population, non astreints au célibat par une discipline spéciale, vivant néanmoins en dehors du mariage afin d’être plus libres de courir le monde à la recherche de nouveaux prosélytes. Ces ministres s’appelaient barbes, mot vaudois qui signifie oncle ou vénérable, d’où est venu aux sectaires le nom de barbetti