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Sarrasins, qui ravageaient la région des Alpes, il se représente lui-même, au milieu de cette double guerre, courant sur les montagnes du côté de Tende à la poursuite des bandes déprédatrices et faisant la veillée des armes au milieu d’une cargaison de livres qui le suivait. Sa doctrine se sépare de celle de Rome précisément sur les deux questions qui ont constitué plus tard les Vaudois à l’état de secte, sur le pouvoir du prêtre et sur la suprématie de Rome. Il rejette le culte et la médiation des saints, et n’admet avec toute l’église des trois premiers siècles qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ. Prompt à réaliser sa doctrine, il fit main basse sur l’imagerie grossière qui encombrait les églises, abolit l’usage des cierges, devenu inutile, disait-il, depuis que les chrétiens ne sont plus obligés de célébrer leurs mystères dans la nuit des catacombes.

Quelque hardie que nous paraisse l’œuvre de Claude, elle ne rencontra pas néanmoins de résistances au-delà des Alpes durant la vie de l’auteur. Les populations subalpines n’avaient pas encore perdu le goût et le souvenir des anciens usages que Claude ramenait dans le culte avec tant de fracas. Ses exécutions sommaires n’y excitèrent d’abord aucune émotion ; mais en-deçà des Alpes, parmi ce clergé franc qui fut à toutes les époques le bras droit de la papauté, elles soulevèrent des colères et des récriminations violentes. Un abbé de Saint-Denis le dénonça comme hérétique et sectaire ; l’évêque d’Orléans, un certain Jonas, l’accusa de ressusciter l’arianisme lombard, secte particulièrement odieuse à la race franque, qui s’était donné la mission de l’extirper par le fer et le feu, et à laquelle Charlemagne venait de donner le coup de mort par la ruine du royaume lombard. Justifiée ou non, cette accusation était calculée pour faire perdre à l’évêque de Turin la faveur du successeur de Charlemagne, qui régnait encore au-delà des Alpes. Claude fit tête à l’orage soufflant de la Gaule, répondit, en remontant aux textes sacrés, par ces nombreux commentaires où il s’efforce de montrer la conformité de ses doctrines avec celles de l’église des premiers siècles : discussions qui nous paraissent arides, études peu attrayantes pour l’esprit sceptique de notre temps, mais dont l’abandon à peu près complet a laissé la conscience religieuse moderne affaissée et sans force devant les plus étranges prétentions de l’autorité ecclésiastique. A son sens, ce n’est pas lui qui est novateur et sectaire, ce sont ceux qui ont abandonné la règle ancienne et le culte ancien pour une autre règle et un autre culte. Ce défenseur de la foi des pères, ce conservateur fougueux pouvait avoir raison devant les textes qu’il commentait ; mais il avait contre lui une force qui ne discute pas, la force du nombre et des majorités écrasantes. L’orage qu’il avait bravé durant sa vie passa sur lui et